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De l'eau, pas des puces !
STMicroelectronics : atterrissage forcé !
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STMicroelectronics : atterrissage forcé !

Rebondissement dans le projet d’agrandissement de l’usine de Crolles de STMicroelectronics. On se souvient1 que tout le processus administratif avait été mené à l’envers par l’industriel et les services de l’État : d’abord l’enquête publique, puis la concertation préalable. Jusqu’à maintenant, le flou était savamment entretenu sur le tenue ou non d’une nouvelle enquête publique, l’info vient de tomber : il y aura bien une nouvelle enquête publique. Et cela retardera de plusieurs mois l’ouverture de la « méga-usine » de Crolles.

Un petit rappel des étapes administratives précédentes s’impose :

Tout d’abord, l’autorité environnementale (MRAE) avait déposé en février 2023 un rapport très sévère et inquiet quant au projet d’extension de Crolles, sommant ST de répondre sous deux mois à une longue liste de questions. Il aura fallu moins de quatre jours, week-end inclus, à ST pour s’exécuter, à savoir : balayer toutes les questions d’un revers de la main2 et conclure « STMicroelectronics ne sollicite pas une seconde consultation de l’Autorité Environnementale ».

L’enquête publique pour l’extension du site de Crolles s’est ensuite tenue du 28 août au 9 octobre 2023 avec un rapport3 publié le 16 novembre 2023. Dans ce dernier les commissaires enquêteurs s’étaient émus qu’aucune concertation préalable n’avait été effectuée, alors qu’il s’agit d’un obligation pour des projets de cette ampleur.

En février 2024, la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), a donc missionné4 trois garants pour mettre en place une consultation publique préalable sur le projet d’extension du site de Crolles, consultation qui devrait être suivie d’une nouvelle enquête publique. Au cours de la concertation, ST a pourtant tout fait pour glisser sous le tapis la nécessité de relancer une enquête publique environnementale. Ainsi, dans le dossier de concertation, le planning ne comprenait pas d’autre étape avant la « mise en service du site ». On pouvait lire en guise de justification que « le délai d’exécution est une composante essentielle du projet »5. Nous avions alors dénoncé publiquement cette manipulation6.

Enfin, la concertation publique s’est déroulée du 22 mars au 19 avril, suite à quoi les garants ont publié leur « bilan de la concertation préalable7 » le 13 mai. ST disposait alors de 2 mois pour publier ses réponses aux interrogations et recommandations de ce bilan.

Le 10 juillet, ST a publié sa réponse au bilan8. Cette réponse était attendue, car l’industriel est connu pour le peu de cas qu’il fait des règles démocratiques. Pour mémoire, les rapporteurs de l’enquête publique dénonçaient « un mépris de [la MRAE], un mépris de l’enquête publique et un mépris du public » de la part de ST. Voici donc ce qu’il faut retenir de la réponse de ST.

Ce qu’on apprend de neuf…

1. Sur la consommation et la réutilisation de l’eau, ST annonce avoir « revu ses besoins en termes d’usage et de volume et n’aurait recours au prélèvement dans la nappe alluviale de l’Isère que de manière ponctuelle uniquement, et seulement en cas de dysfonctionnement de son installation de réutilisation de ses effluents liquides après traitement. […] la demande du nombre de forages et leurs débits seront donc réduits. » Ce point nécessitera clarification pendant la prochaine enquête publique, car sans solution alternative cela reviendrait à utiliser de nouveau de l’eau potable pour refroidir les circuits d’air conditionné des salles blanches. ST évoque le REUT (Réutilisation des eaux traitées, c’est-à-dire issues des stations d’épuration), un procédé différent de la REUSE, mais cette source n’est à ce jour pas disponible. Dans un exercice de langue de bois, ST s’engage à « continuer à augmenter le recyclage avec pour ambition de doubler le volume d’eau recyclée en 2030 », façon de laisser croire que sa consommation d’eau va baisser. En fait, c’est le contraire ! D’une part car c’est le volume d’eau recyclée qui augmente, et non le taux : et il augmente justement parce que la consommation augmente. Au final, ST reconnaît que la quantité d’eau potable consommée passera de 4,5 à « maximum » 7 millions de m3 par an, à cause de l’augmentation de la production.

2. Sur la pollution de l’eau, on sait que ST pollue l’Isère avec notamment de grandes quantités d’azote, de phosphore, de cuivre et de PFAS9. Sur ce point, ST veut « poursuivre l’engagement d’amélioration de la qualité des eaux rejetées dans le milieu naturel conformément à la réglementation avec la création d’infrastructures dédiées. » Mais complète quelques lignes plus bas : « Des études d’impacts ont été menées par STMicroelectronics, qui confirment que les émissions prévues et attribuables au site ST avec le projet d’extension respectent les critères d’acceptabilité de la circulaire du 9 août 2013 des ministères en charge de l’Environnement et de la Santé. » On vous traduit : tant qu’on reste en deçà des seuils, c’est tout bon. Et comme le recyclage de l’eau s’accompagne d’une augmentation de la concentration en polluants… Il y a fort à parier que ST va maintenir sa demande de dérogation pour doubler les concentrations de certains polluants.

3. Sur une nouvelle enquête publique, difficile retour sur Terre pour ST. C’est officiel : ST va devoir se plier à « poursuivre le processus administratif avec le dépôt d’une Demande d’Autorisation Environnementale. », c’est à dire une nouvelle enquête publique qui prendra nécessairement plusieurs mois. La mise en route de l’extension est donc retardée d’autant.

Et ce qu’on n’apprend pas

1. Dans la réponse de ST, toujours aucun commentaire sur le fait que le partenaire économique principal (GlobalFoundries) de l’extension du site de Crolles a visiblement plié bagage10,. C’est tout de même 58 % de la production de l’extension qui devait revenir à GlobalFoundries, de sorte qu’on ne parle plus du tout du même projet.

2. La convention entre ST et l’État reste secrète. L’État subventionne l’extension à hauteur de 2,9 milliards d’euros (l’équivalent de 160€ par foyer fiscal français). Depuis plus d’un an, STopMicro, d’autres collectifs et journalistes réclament l’accès à la convention liant l’État à ST. Un document public, théoriquement accessible à tous, mais qui dans les faits demeure confidentiel. Dans sa réponse, ST ne fournit toujours pas le document mais annonce que « l’État pourra demander de prioriser certaines commandes pouvant aller jusqu’à 5 % des capacités annuelles de production dans le cadre du projet. » C’est tout. ST annonce donc publiquement que l’État lui a fait un chèque en blanc.

3. L’utilité sociale des puces produites par ST est – devrait être – le sujet central d’une véritable concertation. C’est-à-dire la question du productivisme et de la croissance démesurée d’un numérique catalyseur du désastre planétaire. Sur ce point, ST se livre à un exercice de style et contourne la question au lieu de la traiter. L’approche la plus raisonnable serait selon nous de ne pas demander de nouvelle enquête publique mais d’engager un vrai dialogue avec les citoyen·es sur l’usage des puces. On se rendrait alors probablement compte collectivement que la plupart des puces ne servent vraiment pas à grand-chose11 et même qu’au contraire, de nombreux usages ont de quoi nous révolter. Mais ce point n’est, hélas, pas abordé par l’industriel -on le comprend-. Mais nous comptons bien imposer ce débat essentiel.

Et maintenant ?

C’est donc reparti pour une deuxième enquête publique. Pour rappel, ce dispositif administratif ne concernera aucunement le « bien fondé » ou « l’utilité » du projet, c’est pourquoi nous avions appelé au boycott de la première enquête publique. Nous nous félicitons néanmoins de la perte de temps que cela représente pour l’industriel : en effet, chaque mois d’activité perdu représente autant d’eau non consommée et non polluée. Nous nous réjouissons également du retour aux réalités que cela représente pour l’industriel, qui a pour habitude de faire sa loi. Mais nous avons bien conscience que l’obligation de se plier aux obligations légales ne réglera pas le problème, puisque ST a également pour habitude de faire modifier les lois lorsqu’elles s’avèrent trop contraignantes. En témoignent l’exemption de la loi ZAN dont bénéficient les agrandissements de ST et Soitec12, ou les dérogations sur les rejets de polluants dans l’Isère par les services préfectoraux13. Faire édicter des règles sur mesure est en effet un procédé plus « élégant » que la désobéissance.

L’atterrissage n’est donc que partiel. Notre première vraie victoire, ce sera lorsque ST renoncera à son extension. Nous comptons sur vous pour y arriver !

NO PUÇARAN !

Le collectif STopMicro, 15 juillet 2024

stopmicro@riseup.net https://stopmicro38.noblogs.org

2 Nous avions effectué le travail de reprise et d’analyse de chaque question ici: https://stopmicro38.noblogs.org/files/2023/10/02-Analyse-Memoire-Reponse-MRAE.pdf

12Décret ministériel de février 2024 concernant 230 projets industriels

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