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De l'eau, pas des puces !
Reclaim, ou la nouvelle entourloupe made in ST
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Reclaim, ou la nouvelle entourloupe made in ST
À propos du nouveau dossier d’enquête publique sur l’extension de la « méga-fab » de Crolles

Depuis deux ans, STMicroelectronics tente d’imposer le projet d’agrandissement de son site ultra-polluant, toxique et dangereux (Seveso seuil haut) de production de puces de Crolles, aux confins d’une métropole grenobloise qui enquille découverte sur découverte de l’état catastrophique de ses nappes phréatiques et rivières. Projet visiblement plus important que l’habitabilité de la vallée, puisque soutenu par 2,9 milliards d’euros d’aides publiques.1

S’étant pris les pieds dans le tapis des maigres règles de l’État en matière de consultation publique (en omettant de saisir la CNDP avant de lancer son enquête publique environnementale, tandis qu’une bonne partie du site de l’agrandissement était déjà construit!), ST se retrouve à l’automne 2024 contrainte de passer par une révision de son Enquête Publique Environnementale. Et surtout contrainte d’apporter des réponses aux citoyen·nes et à l’administration publique. Analyse des points-clefs du dossier.

ST annonce une baisse de sa consommation d’eau…

Le point central à relever dans le dossier de cette deuxième enquête publique, c’est que ST débarque aujourd’hui avec un nouveau procédé, Reclaim, mis en place par une troisième station de traitement des effluents liquides (STEL3), qui retraiterait une partie des eaux usées qui seraient re-ultrapurifiées pour revenir dans la chaîne de production.

Reclaim permettrait de passer d’un accaparement actuel de 13 250 m3/jour d’eau potable, non plus à 24 700 m3/jour à l’issue du projet comme auparavant, mais à 10 200 m3/jour. Soit une économie de 23 % d’eau potable extraite par rapport à la situation présente (et de 140 % par rapport au projet initial). De ces 10 200 m3/jour pompés, en tenant compte de l’évaporation d’une partie de l’eau, il resterait en bout de ligne 6 650 m3/jour (277 m3/h) rejetés dans l’Isère2.

Notons déja que l’annonce de cette STEL3 et de Reclaim dans le projet de ST est uniquement le fruit de la mobilisation qui a lieu depuis deux ans contre l’extension de cette usine. En effet, en 2022, l’industriel prévoyait une hausse de 190 % de sa consommation d’eau potable, et il n’était nulle part question de réutiliser l’eau consommée.

Cependant, notons surtout au sujet du procédé Reclaim son caractère hautement hypothétique et les nombreuses part d’ombres du projet. Ainsi, il est troublant de lire que le procédé Reclaim sera à l’arrêt (pour maintenance ou en cas de défaillance) environ 10 semaines par an, soit 20 % du temps. On peut déjà s’interroger sur la crédibilité d’une solution technique qui ne fonctionnerait pas tout le temps, alors que la production est continue. Mais, plus encore, que faire pendant ces 10 semaines alors qu’ST a promis de ne plus pomper l’eau potable de la ville ? C’est là qu’ST sort du chapeau une deuxième option de fonctionnement, basée sur le pompage dans la nappe phréatique sous le site depuis 3 nouveaux puits (nommés P3, P4 et P5) forés directement sous les stations de traitement de l’eau (STEL 1 et 2), chacun de capacité 150 m3/h.

Mais cette option interroge quand on sait que l’Enquête Publique de 2023 annonçait le forage de deux puits (P1 et P2) de même capacité, et qu’on apprend dans le nouveau dossier que le premier (P1) a été creusé mais tellement contesté par les usines avoisinantes (qui pompent aussi dans la nappe) et par les agriculteurs (qui se verraient obligés d’irriguer si la nappe venait à s’affaisser) qu’il va finalement être rebouché (!)3, tandis que le second (P2) a purement et simplement été abandonné. Que penser de ces puits P3, P4 et P5, creusés au même endroit que P1 et P2, qui au total consommeraient 450 m3/jour (ce débit n’étant à ce jour même pas assuré4) depuis la même nappe, là où les tensions induites par P1 ne concernaient que 150 m3/jour ? On a du mal à imaginer la disparition soudaine de ce problème…

… Mais, tout de même, l’usine consommera peut-être plus d’eau

On sent alors le truc gros comme une maison venir… C’est écrit en tout petit, mais c’est écrit : ST envisage un troisième scénario. Celui où Reclaim ne fonctionne pas et où, sans évoquer pour quelle raison (on imagine pourtant aisément le conflit d’usage, notamment en été), les 3 puits P3, P4 et P5 ne produiraient pas. Dans ce scénario, qualifié de « théorique » et « fourni à titre indicatif »5, la consommation d’eau serait totalement prise depuis le réseau d’eau potable. Bref, comme dans le cas du projet initial. L’extraction d’eau potable atteindrait alors 936 m3/h (soit 22 500 m3/jour) à l’issue du projet, à savoir peu ou prou le chiffre annoncé en 2023 (24 700 m3/jour).

Au vu de ce flou artistique et de ces manipulations de chiffres, comment croire ST ? Comment ne pas craindre, quand on sait par ailleurs que tout autant Reclaim que les puits P3 à P5 ne sont à ce jour que de vaporeuses promesses, qu’une fois le site autorisé à être mis en service, l’eau du site ne sera pas entièrement pompée du réseau d’eau potable ? Parce qu’il faut ajouter, et c’est important, qu’ST demande une autorisation de prélèvement d’eau potable de 800 m3/h (soit 19 200 m3/jour). Comment ne pas voir dans cette demande une anticipation de mise en place du « scénario théorique » (qui consommera « en théorie » 800 m3/h après la mise en place des Gateways 4-5-6) ? Comment ne pas y voir un nouveau pied dans la porte évident pour solliciter dans quelques années le passage des 800 m3/h aux 936 m3/h prévus « théoriquement » à l’issue de la mise en service de l’entièreté du projet, une fois qu’on aura pris conscience que, oups, personne ne veut des puits P3 à P5 et que, re-oups, Reclaim coûte trop cher ou ne fonctionne tout simplement pas ?

Trois fois trop de pollution dans l’Isère

Pour éclaircir ce grand flou, nous avons consulté le tableau des demandes d’émission de polluants par ST, deuxième volet de l’affaire.

Entre l’Enquête Publique de 2023 et celle de 2024, les concentrations et flux de polluants n’ont pas beaucoup bougé. Les concentrations (en mg/l) sont toutes alignées à l’autorisation attribuée par la DREAL en 2016, sauf pour l’azote, le phosphore et le cuivre (les trois éléments sur lesquels ST demandait une dérogation supplémentaire) où les chiffres ont légèrement baissé depuis la dernière enquête publique. Néanmoins, les concentrations demandées par ST sur ces trois éléments excèdent toujours de très loin les exigences de la directive IED européenne (directive 2010/75/UE relative aux émissions industrielles6). Par exemple, pour le cuivre, ST demande de rejeter à 0,15 mg/l là où l’IED impose une marge comprise entre 0,005 à 0,05 mg/l, soit une demande d’autorisation trois fois supérieure au seuil maximal en vigueur. De même pour l’azote, ST demande 40 mg/l là où la législation européenne limite à 25 mg/l. De plus, les concentrations mesurées entre 2020 et 2023 ne diminuent pas (voir par exemple le cas du cuivre et de l’azote ci-dessous) contrairement à l’engagement pris par ST en 2016 de réduire progressivement les concentrations de ses rejets et d’en assurer le suivi annuel.7 On peut aisément présager que ces concentrations continueront d’augmenter.

Mais c’est surtout les flux (en kg/jour) de polluants rejetés dans l’Isère qui nous intéressent. Alors qu’ST prétend, grâce à Reclaim, ne plus rejeter que 6 650 m3/jour d’eau polluée dans l’Isère, la demande de rejets de polluants se base sur une hypothèse de 21 000 m3/jour d’eau évacuée dans l’Isère, correspondant au scénario où Reclaim serait à l’arrêt (727 m3/h, soit 17 448 m3/jour). Cette étrange histoire de maintenance de Reclaim légitime donc une demande de rejets équivalente à celle de la précédente Enquête Publique. Autrement dit : tout changer pour que rien ne change !

En cas de sécheresse, arrêtez de nettoyer vos fenêtres

Rions un peu (jaune). ST, visiblement consciente de la gravité du dérèglement climatique et des risques accrus de sécheresse, propose de réagir vivement en cas d’alerte sécheresse.8 Ainsi, dans ce scénario, les mesures prises par ST sont : le « report des nettoyages de vitres des bâtiments », l’« interruption du nettoyage des sols avec les autolaveuses », l’« arrêt de l’arrosage automatique des espaces verts », l’envoi d’un « message ‘Crolles Communication’ pour inciter les salariés à réaliser des économies d’eau professionnellement et individuellement. » Rien de nouveau sous le soleil de nos étés devenus caniculaires : absolument rien sur la consommation industrielle, on se concentre sur les eaux sanitaires – qui représentent 0,7 % de la consommation du site.9

En cas de sécheresse « niveau alerte renforcée », notons la mesure supplémentaire : « Demande à Eaux de Grenoble Alpes de ne pas changer de source d’eau pendant cette période (pour ne pas impacter les rendements des stations de production d’EUP [Eau Ultra Pure]) ». Doit-on comprendre ici qu’en cas de sécheresse forte et de manque drastique d’eau, Eaux de Grenoble Alpes ne pourrait permettre aux habitant·es du Grésivaudan d’avoir accès à une autre source d’eau (potentiellement de moindre qualité) et ce dans le seul but de ne pas baisser les rendements de production d’EUP d’ST ? En clair, en cas de sécheresse sévère, le leitmotiv serait « des puces, pas de l’eau » ?

Quand on sait que durant l’été 2022, des restrictions d’eau ont été imposé·es aux habitant·es de Grenoble et ses alentours tandis qu’ST n’a pas perdu un litre de sa consommation gargantuesque, et que cette situation est vouée à se reproduire et à s’aggraver dans les années à venir, on a du mal à ne pas voir énormément de cynisme dans ce ridicule plan d’alerte sécheresse. Moralité : quand Reclaim sera en maintenance en été, les habitant·es auront l’eau coupée.

Face aux industriels : seule la lutte paye

On le voit : l’annonce centrale de STMicroelectronics est hautement hypothétique, l’industriel le sait très bien et s’arrange pour bénéficier de la « sécurité » des forages et du réseau d’eau potable public.

En réalité, tout le remue-ménage déclenché par ST autour de Reclaim est assez insignifiant : c’est avant tout de la com’. Le prétendu retraitement de l’eau accaparée n’est pas du tout à la hauteur des enjeux du monde connecté et de ses nuisances.

D’une part car les problèmes environnementaux et sociaux causés par la production d’outils numériques est loin de se limiter à la question de l’eau. D’autre part, parce que, plus qu’une question technique il s’agit d’un sujet politique. Notre critique de l’agrandissement de l’usine de ST, tout comme de celui de sa voisine Soitec, est en effet bien loin de se limiter à la quantité d’eau que ces industriels seraient en mesure de réutiliser. Pour produire des gadgets électroniques ou des armes, tout litre d’eau consommé est un litre d’eau de trop, car ces entreprises reposent sur l’exploitation coloniale des pays du Sud, la perfusion de subventions publiques, la destruction de terres agricoles, les pollutions massives, la fuite en avant et l’aliénation technologique. Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Nous allons continuer à nous mobiliser contre l’accaparement des ressources par les industriels de l’électronique. Le seul moyen de les voir réduire leur impact sur nos vies et notre environnement est de leur imposer un rapport de force : par voie d’enquêtes, d’actions, de manifestations, de rassemblements, de médiatisations, d’information du public.

Amplifions la mobilisation pour empêcher les agrandissements de ST et de Soitec.

Collectif STopMicro,
19 novembre 2024

https://stopmicro38.noblogs.orgstopmicro@riseup.net

1Précisément on parle de 1 000 emplois créés pour 2,9 milliards d’euros, ce qui fait 2,9 millions d’euros « d’aide » par emploi, soit environ 80 ans de salaires chargés pour chaque emploi.

2Un chiffre bien suspect, vu qu’il induirait une évaporation cinq fois supérieure des rejets aériens. En effet, dans le scénario actuel, des 13 250 m3/jour entrants ressortent dans l’Isère 12 350 m3/jour, soit 6 % d’évaporation. Dans le scénario projeté de 10 200 m3/jour consommés pour 6 650 m3/jour rejetés, on se trouverait avec 35 % d’évaporation !!!

3Il est dit précisément que « [P1] sera abandonné en raison de cohérence industrielle et pour éviter la multiplication des points de forage. Il sera donc comblé conformément à la réglementation en vigueur. » (Étude d’Impact, p33). C’est nous qui soulignons. On a du mal à concevoir que creuser P3, P4 et P5, chacun ayant la même capacité extractive que P1 (150 m3/h) résolve le problème de la multiplication des puits de forage…

4« Ces 3 forages d’exploitation sont donc prévus dans la phase travaux. Des essais de pompage seront également réalisés pour confirmer leurs débits. » (Étude d’Impact, p33). C’est nous qui soulignons.

5On trouve ainsi dans l’Étude d’Impact (p277) un tableau prospectif de consommation d’eau « en cas d’arrêt du RECLAIM, en simultané avec une panne ou de problème de production des 3 forages, en période d’été. Cette consommation exceptionnelle est théorique. Elle est fournie à titre indicatif. » Cette information est pourtant absente (à notre connaissance) de tous les autres documents fournis par ST dans le cadre de l’Enquête. L’Autorité Environnementale (MRAE) a relevé cette même incohérence dans son Avis.

7Nous avons tenté d’obtenir ces rapports de suivi en sollicitant la DREAL : il n’en existe tout bonnement aucune trace.

8Voir le tableau p286 de l’Étude d’Impact.

98,7 m3/h pour les eaux sanitaires, à comparer aux 1 260 m3/h de consommation totale.

2.15.0.0

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