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De l'eau, pas des puces !
Soitec équipe les avions de chasse Rafale
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Selon sa propre communication, Soitec, le « leader mondial des matériaux innovants » a trois domaines principaux d’activité : les smartphones, l’automobile et l’internet des objets. Dans le cas de ses puces au nitrure de gallium appliquées à la radio fréquence (RF-GaN), l’entreprise affirme qu’elles « apport[ent] l’innovation à la technologie et aux réseaux 5G »1. Comme nous allons le voir, en pratique cela signifie : fabriquer des antennes de radar pour des avions de chasse vendus dans le monde entier. Pas très reluisant.

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Le SOI, la technologie-phare développée par Soitec, diffère des semi-conducteurs classiques, gravés sur du silicium. En effet, les plaques fabriquées par Soitec sont composées d’une superposition de différents matériaux, qui améliore l’efficacité et la résistance aux environnements critiques de ces puces. Comme nous l’avons expliqué ailleurs, cette technologie est issue de recherches militaires de résistance des micropuces aux radiations ionisantes notamment pour les bombes et missiles nucléaires, ce qui rend l’entreprise Soitec indispensable à la stratégie française de dissuasion nucléaire2.

Mais, outre le SOI, Soitec développe une technologie différente, visant à se servir d’autres matériaux que du silicium dans la fabrication des substrats : l’épitaxie, un procédé qui consiste à chauffer les matériaux et à l’exposer à des vapeurs d’iodes pour modifier leur structure. C’est ainsi que l’entreprise fabrique des plaques d’arséniure de gallium (GaAs) et de nitrure de gallium (GaN). Il nous faut pour cela rendre visite à l’usine belge de Soitec.

Issue du rachat de l’entreprise EpiGaN en 20193, cette usine est plus petite que les deux autres sites de production de Soitec (à Bernin et à Singapour), mais très stratégique. Elle est en effet spécialisée dans les substrats épitaxiés en nitrure de gallium. Soitec a racheté cette usine car les substrats en carbure de silicium (SiC) qu’elle fabrique à Bernin sont largement utilisés pour le nitrure de gallium : c’est du « GaN on SiC ». Et cela permet à Soitec de produire des puces dites « RF-GaN » : la technologie GaN appliquée à la radiofréquence4.

Un enjeu militaire

Or, comme nous l’apprend le Ministère de la Défense, le nitrure de gallium est un enjeu stratégique pour les militaires, car « ces composants permettent notamment d’améliorer le niveau de puissance, le rendement et donc la compacité des systèmes radars, d’antennes actives ou des systèmes de guerre électronique »5, en premier lieu les radars6. La première utilisation du nitrure de gallium est bien militaire : en effet, le marché militaire représente une part extrêmement importante du marché total des puces RF-GaN7 : environ 50 % avec 1,1 milliards de dollars attendus pour 20258.

Ces applications stratégiques du nitrure de gallium ont amené en 2020 le CNRS9 et l’Agence d’innovation de défense à lancer le projet de recherche GREAT (hiGh fREquency gAn elecTronics), un projet purement militaire à 1, 6 millions d’euros10 auquel participent deux partenaires industriels : le franco-allemand UMS (United Monolithic Semiconductors), détenteur des technologies GaN de puissance11, et Soitec12.

Les radars des Rafales

En 2015-2016, EpiGaN (future Soitec Belgique) travaillait déjà sur les radars13 et la Délégation générale pour l’armement faisait figurer l’entreprise dans sa « Base industrielle européenne »14 (ce qui signifie que l’entreprise travaillait pour les marchés militaires). Fort logiquement, en 2018, la DGA et EpiGaN partageaient la tribune d’un colloque15. Y était également présente l’entreprise TAS, aussi connue sous le nom de Thales Systèmes Aéroportés, spécialisée dans les systèmes de patrouille et surveillance maritimes aéroportés et les systèmes de guerre électronique destinés aux navires et avions de combat »16. Autrement dit, l’activité de TAS est la fabrication de radars à destination du marché militaire.

Selon la DGA, c’est le nitrure de gallium qui est à présent privilégié pour les modules de l’antenne des futurs Rafale17. Or, il est connu dans le monde de l’aviation que pour les radars AESA RBE2 avec antenne réseau active à balayage électronique produits par TAS, les semi-conducteurs sont fournis par Soitec18, et EpiGaN/Soitec figure (comme Thales et STMicroelectronics) dans la liste des rares entreprises européennes travaillant dans le RF-GaN militaire19. Il n’y a donc rien d’étonnant à rencontrer TAS, Soitec et la DGA au même endroit : les puces RF-GaN de Soitec sont destinées notamment aux radars de TAS, qui eux-mêmes servent à équiper les Rafale produits par Dassault sous le patronage de la DGA20.

La France étant le deuxième exportateur mondial d’armement, on peut ici rappeler à quels pays la France vend ou a vendu des Rafale : l’Egypte, l’Inde, le Qatar, la Grèce, la Croatie, les Émirats Arabes Unis, l’Indonésie, la Serbie21.

C’est à cela que servent les puces GaN on SiC fabriquées par Soitec en Belgique. Il n’y a pas de quoi être fier…

Collectif STopMicro, 31 octobre 2024

stopmicro@riseup.nethttps://stopmicro38.noblogs.org

9Au sujet des implications militaires du CNRS, lire https://lundi.am/Au-coeur-des-tenebres

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