Mercredi 15 mai 2024, GEM, l’école de management de Grenoble organise un colloque intitulé « Souveraineté technologique de la France : réalités locales et conséquences », avec la participation de militaires, d’universitaires et de chefs d’entreprises. Derrière une apologie de la « souveraineté technologique », ce colloque n’est qu’une manifestation du règne du cynisme : fabrication d’armement et de systèmes de surveillance, partenariats militaires, ventes d’armes à l’international.
Marchands de canons
La « souveraineté technologique» avait été invoquée pour justifier l’extension des entreprises « stratégiques » STMicroelectronics à Crolles et Soitec à Bernin. Elle masquait en réalité un mercantilisme macabre, qui est aujourd’hui au coeur du colloque « Souveraineté technologique de la France : réalités locales et conséquences ». Si ST et Soitec n’y sont pas représentées, on y trouve par contre le CEA, maison-mère de ces deux start-up, ainsi qu’une bonne partie du complexe miltaro-industriel grenoblois1. Y participeront notamment les militaires du Bataillon d’Infanterie de Montagne et du Groupe militaire de Haute montagne, ainsi que des stratèges de l’Institut des hautes études de la défense nationale. L’IHEDN ayant, rappelons-le, pour mission « de promouvoir la culture de défense, de participer au renforcement de la cohésion nationale, et de contribuer au développement d’une réflexion stratégique portant sur les enjeux de défense et de sécurité ».2
Y sera également présent le directeur de la start-up grenobloise Squaredrone, partenaire de la Direction Générale de l’Armement3 à deux titres : dans le cadre du projet PST Furious qui a pour but de fabriquer des robots à usage militaire4, et dans le cadre d’un financement dit « Rapid » sur les applications duales des drones Swarn (des drones qui peuvent servir à la surveillance ou à des missions d’attaque5). Squaredrone est aussi membre du pôle de compétitivité Safe6 dédié aux filières aéronautique & spatial, sécurité & sûreté, défense et environnement. Notons que le siège de Squaredrone est en face de GEM, au 1 place Firmin Gautier.
Relevons enfin la présence de l’entreprise Serenicity, partenaire de la police nationale et de la gendarmerie, celle qui devait en 2019 installer à Saint-Etienne des capteurs sonores couplés à la vidéosurveillance et des drones automatisés dans le cadre d’un « démonstrateur technologique de tranquillité publique »7. Rappel : Serenicity est dirigée par Guillaume Verney-Caron, lui même directeur général de la société Verney-Caron, le gros fabriquant d’armes stéphanois.
Nos armes, leurs morts
Connaissez-vous Mourad Chabbi ? Cet enseignant-chercheur à GEM fera l’introduction du colloque en compagnie de la présidente de l’IHEDN 38-73-74. Il a tenu récemment des propos fort élogieux sur les exportations françaises d’armes8. De notre côté, nous trouvons honteux qu’on puisse se féliciter du fait que la France se classe systématiquement dans le top 5 des exportateurs d’armes ! Cependant, dans un article de 2022, M. Chabbi rappelait quelques utiles vérités qui éclairent le colloque d’aujourd’hui d’une lumière crue – et sale. Donnons-lui la parole :
Si notre pays veut maintenir son rôle au sein de l’Europe (puissance, influence), elle se doit de disposer d’une importante base industrielle et technologique de défense (BITD) indispensable à l’autonomie stratégique et à la souveraineté du pays. De fait, la production d’armements et leur exportation tiennent une place importante dans le tissu économique français. (…) Si l’on va un peu plus loin, on constate d’ailleurs que les exportations d’armements ne sont pas seulement autorisées, elles sont fermement soutenues. Le soutien aux exportations d’armements en France découle des orientations de politique étrangère et de défense nées sous la présidence de Charles de Gaulle. (…)
Il y a plus de quinze ans, le député Fromion résumait parfaitement la situation : « À la différence de leurs concurrents américains, pour qui exporter ne représente en fait qu’une activité à la marge, d’ailleurs largement prise en compte par l’administration fédérale pour accompagner sa politique d’hégémonisme planétaire, les industriels français et européens de la défense doivent, eux, exporter pour survivre ».
Voici révélée la réalité des « conséquences » de la « souveraineté technologique de la France » : l’État a de longue date décidé d’avoir une armée reposant sur la puissance technologique, (bombe atomique, sous-marins, portes-avions, équipements de pointe). Dans ce but, la France s’est dotée d’un réseau d’entreprises travaillant pour la défense, la base industrielle et technologique de défense (BITD), sous l’égide de la Direction Générale de l’Armement. Or, pour pour assurer la pérennité du modèle économique de ces entreprises, on estime qu’il faut exporter entre 40 et 60 % de la production9. Pour assurer notre « souveraineté technologique » il faut vendre la mort aux quatre coins du monde. C’est ainsi que la France est devenue en 2024 le deuxième exportateur mondial d’armement. Sous couvert de « souveraineté technologique », c’est de cela dont il sera question, lors de ce colloque. Le lien avec ST et Soitec, entreprises indispensables à la dissuasion nucléaire10 industrialisant des technologies initialement développées avec le concours de la DGA11, est évident : derrière le mode de vie « connecté » généralisé, les besoins militaires stratégiques.
Insoumission face à la militarisation généralisée
Nous autres, habitants des pays industrialisés, vivons sur l’exploitation des ressources et de la main d’œuvre du reste du monde. Cette exploitation – qu’elle soit directe via le colonialisme ou indirecte via la puissance économique acquise durant des siècles de domination coloniale – est profondément immorale. Pour dominer militairement le monde, on s’autorise à exporter des armes permettant aux autres peuples de s’entre-tuer.
Face à cette situation sordide, il nous faut agir. Nous devons refuser de jouer le jeu ignoble auquel on prétend nous associer, et être solidaires des autres peuples qui subissent les ravages du capitalisme à notre profit, qu’il s’agisse de ravages militaires, sociaux ou environnementaux.
Un colloque comme celui de GEM a le but inverse : renforcer le complexe militaro-industriel grenoblois, passer sous silence les atrocités qui se passent à l’autre bout du monde du fait des exportations d’armes et poursuivre la folle course en avant de l’accaparement des ressources naturelles… dans le but cynique de générer des profits en France. Les universitaires et enseignants qui se prêtent à ce jeu morbide sont des croque-morts au même titre que les marchands d’armes et les militaires, d’autant plus dans la période actuelle qui voit un triplement des budgets militaires.
De la même façon que nous avons bloqué les accès à la Presqu’île scientifique le mois dernier12 ou manifesté contre le cinquantenaire de STMicroelectronics en septembre, nous serons présents aux côtés de la Coordination Rhône-Alpes Anti Armement et Militarisme à GEM pour affirmer notre opposition à ces logiques mortifères.
Rendez-vous mercredi 15 mai à 8h45 devant GEM, 12 rue Pierre Semard à Grenoble.
Collectif STopMicro, 11 mai 2024
stopmicro@riseup.net – https://stopmicro38.noblogs.org
1Lire Groupe Grothendieck, L’Université désintégrée. La recherche grenobloise au service du complexe militaro-industriel, Le monde à l’envers, 2020.
4https://www.actuia.com/actualite/robotique-terrestre-la-dga-attribue-une-nouvelle-tranche-du-projet-furious-a-safran-electronics-defense/
7https://www.laquadrature.net/2019/04/15/mouchards-et-drone-a-saint-etienne-le-maire-veut-etouffer-le-debat/
8https://theconversation.com/exporter-ou-disparaitre-le-dilemme-de-lindustrie-de-defense-francaise-178127 ou theconversation.com/pourquoi-les-exportations-darmes-francaises-et-europeennes-vers-la-russie-nont-pas-cesse-apres-lembargo-de-2014-180839
9Lire Groupe Grothendieck. Des treillis dans les labos. La recherche scientifique au service de l’armée, Le monde à l’envers, 2024.