STopMicro
De l'eau, pas des puces !
Au pays des contre-vérités
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Lundi 7 avril 2025. C’est une réunion des élus de la Communauté de communes Le Grésivaudan comme une autre. On y parle des projets en cours et on y vote des délibérations. Mais lorsque arrivent les délibérations 25 et 26 au bout de 1h49, on ne peut pas faire abstraction qu’une semaine auparavant une grande manifestation a eu lieu à Crolles et à Bernin : 3000 personnes ont manifesté dans une bonne ambiance contre les extensions de STMicroelectronics et Soitec, contre l’accaparement des ressources par les industriels de l’électronique, et plus largement contre le projet de « vie connectée ».

La présentation des délibérations – qui visent à modifier légèrement l’emprise du projet de ZAE à Bernin, autrement dit l’agrandissement de Soitec – prend des allures de justifications. En effet, les choix politiques de la Communauté de communes (porteuse du projet) ont été largement mis en cause les semaines précédentes par le gros travail de documentation et d’analyse fourni par le collectif STopMicro. Le 21 mars dernier, en ouverture du conseil municipal de Crolles, le maire Philippe Lorimier avait consacré plus de dix minutes à répondre aux tracts distribués dans sa ville par celles et ceux qu’il accuse d’être des « agissants bien-pensants » (c’est nous). Il s’était lancé dans de laborieux calculs sur le taux d’emploi au mètre carré, duquel il ressortait – scoop – que la microélectronique produit plus d’emploi à surface égale que le maraîchage. Ce qui est sans doute vrai, mais qui fait abstraction des surfaces impactées par l’électronique en dehors du Grésivaudan (mines au Congo, en Chine, en Argentine et ailleurs, entrepôts logistiques, toute l’infrastructure nécessaire à la production et à la circulation des matériaux semi-conducteurs en amont et en aval des usines du Grésivaudan que nous avons mis en avant lors du colloque des 28 et 29 mars derniers). Quoi qu’il en soit, on sentait que Philippe Lorimier en avait gros sur la patate, et qu’il avait besoin de répondre aux critiques injustes dont il était la cible.

Le 7 avril, la même ambiance, quoi qu’un peu plus feutrée, semblait régner sur le conseil communautaire. Mais la ligne de défense avait changé : désormais, en plus de se justifier, les élus pratiqueraient l’attaque. Mais l’attaque perfide, par sous-entendus. Et cette manière d’attaquer s’est incarnée dans le mot « contrevérité ». Mot prononcé trois fois au cours de la soirée à notre sujet, par Henri Baile, Philippe Lorimier et Martin Gerbaux. On a donc appris ce soir-là que le collectif STopMicro propage des « contre-vérités ».

Qu’est-ce qu’une contrevérité ? Le Larousse en donne la définition suivante :

Contrevérité n. f. Affirmation contraire à la vérité ; mensonge.

Une part non négligeable du travail fourni par STopMicro depuis deux ans et demi consiste en la documentation, la recherche d’informations, leur recoupement et leur vérification. Qu’il s’agisse de notre foire aux questions, de notre enquête visant à comprendre à quoi servent les puces de ST et Soitec, de celle retraçant la chaîne d’approvisionnement de ces entreprises et de tant d’autres disponibles sur notre site, nous indiquons scrupuleusement nos sources et tâchons de ne pas diffuser de fausses informations. Nous avons sans doute commis des erreurs au cours de nos deux années de recherche : la profusion d’information est telle que parfois, sur certains sujets techniques, on peine à démêler le vrai du faux, l’ancien du nouveau, le sérieux de l’amateur. Mais nous affinons notre documentation, et prenons position uniquement sur des faits avérés.

Nos enquêtes de fond sont telles que les sections syndicales CGT ST et Soitec comme les élus locaux admettent ouvertement que nous sommes bien plus informé·es qu’eux-mêmes (ainsi des déclarations récentes de Pierre Mériaux, adjoint grenoblois à la stratégie numérique).

La rigueur que nous appliquons, on aimerait la retrouver également du côté de la Communauté de communes. Or, force est de constater que s’il se propage des « contrevérités », c’est plutôt du côté de cette institution qu’il faut regarder.

Ainsi, lors de la concertation sur l’extension de la ZAE, fin 2024, la Communauté de communes prétendait que « l’activité agricole peut soumettre cette zone humide à des pressions considérables liées à l’utilisation excessive d’éléments nutritifs et de pesticides, à la dérivation ou au prélèvement non durable de l’eau, et à la surexploitation de la biodiversité ». Une phrase étonnante, quant on sait que les cultures sur le site ne sont pas irriguées. Sans doute cette « contre-vérité » visait-elle avant tout à décrédibiliser les agriculteurs et à passer sous silence que c’est bien l’industrie de l’électronique qui pratique un « prélèvement non durable de l’eau ».

Plus largement, tout le processus de concertation autour de cette extension a été marqué par un double-discours autour de la présence puis l’absence de Soitec. On se souvient que tout ce projet d’extension avait démarré par la longue prise de parole de Cyril Menon, directeur général adjoint de Soitec lors du Conseil communautaire du 16 décembre 2022 : l’entreprise devait s’agrandir, la Communauté de communes devait donc étendre la ZAE. Depuis, Soitec s’est retiré du projet, en suspendant ses projets d’agrandissement. Alors, aujourd’hui, pour qui agrandit-on ? Pour Soitec ou pas pour Soitec ? On aura les deux versions. Par exemple, « cette extension de ZAE n’est pas dédiée à une entreprise unique, mais à toute entreprise manifestant son intérêt à venir sur la zone et démontrant son inscription dans les objectifs de programmation, à savoir la filière des nanotechnologies, semi-conducteurs, et son respect des prescriptions environnementales et réglementaires de la ZAE. » (dans le dossier de concertation) et, quelques semaines plus tard, « Le projet c’est une extension de la zone économique des Fontaines pour permettre à Soitec d’agrandir son usine et répondre au marché de la micro-électronique en fabriquant les produits qu’ils ont l’habitude de fabriquer » (le président de la Communauté de communes, sur France Bleu).

A quoi servent ces déclarations contradictoires entre elles ? Sans doute, assez prosaïquement, à embrouiller le débat. En effet, plus celui-ci est complexe, truffé de chiffres contradictoires, d’informations tronquées, plus il relève d’une querelle d’experts et plus le public comprend que « ça le dépasse ».

Or c’est bien ce que cherchent les décideurs : que le public ne s’implique pas, et qu’on leur laisse les mains libres pour gérer l’avenir du territoire et pour agrandir les entreprises de high tech. Comme le disait l’ancien député PS et premier adjoint au maire de Crolles François Brottes : « Ici, les élus ont été vaccinés à la high-tech. Cela permet d’avancer plus vite et d’éviter de se poser des questions métaphysiques » (Le Monde, 17 avril 2002).

Face à ce parti-pris, nous rétablissons quelques faits et les dénonçons. Il semble qu’aujourd’hui les élus sont en train de se rendre compte qu’ils ne peuvent plus uniquement évoluer dans le monde idéal qu’ils se sont construits, mais qu’ils doivent rendre des comptes à ce juge intraitable qui s’appelle « la réalité ». Nous nous en félicitons. Et s’il faut pour cela que nous soyons taxé·es d’« agissants bien-pensants » et de propagateurs de « contrevérités » par les élus vaccinés à la high-tech, nous en passerons par là.

No puçaran !

STopMicro,
10 avril 2025

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