STopMicro38
De l'eau, pas des puces !
Soitec : 30 ans de nuisances sans merci
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Alors que le collectif STopMicro vient de porter un coup d’arrêt aux projets d’agrandissements de l’entreprise Soitec Bernin 5 et Bernin 6 (pour un montant de 600 millions d’euros tout de même)1, nous vous invitons à partir à la découverte de des nuisances de cette entreprise. Créée en 1992 par le CEA pour développer une technologie militaire, celle-ci trouve le moteur de sa croissance dans les smartphones et le développement des voitures électriques. De 1992 à 2024 : 30 ans de nuisances sans merci.

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Une sucess story à la grenobloise

« Certaines révolutions sont silencieuses. Diplômé de l’École Centrale de Lyon à 21 ans, André-Jacques Auberton-Hervé réalise sa thèse de doctorat au sein du Leti, le laboratoire du CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique) spécialisé dans les micro et les nanotechnologies. Le début d’une fabuleuse aventure qui le mènera, notamment alors qu’il a 30 ans, à la tête du leader mondial des semi-conducteurs. »2

C’est à partir de 1974 que le CEA-Leti développe en partenariat avec la Direction des applications militaires du CEA la technologie SOI pour répondre aux besoins de défense, en particulier de dissuasion nucléaire3. La technologie SOI ? Il s’agit du Silicium on insulators, une technique particulière de fabrication de puces électroniques. Dans l’industrie du semi-conducteur classique, les circuits imprimés sont gravés sur une fine couche de silicium. Avec le SOI, le substrat sur lequel on grave les puces est constitué d’un ensemble de très fines couches isolées les unes des autres (par du saphir, de l’air ou du dioxyde de silicium4. Si la fabrication de la puce est plus complexe, plus énergivore et plus coûteuse (de l’ordre de 10 %5), le produit fini est par contre plus performant (jusqu’à 15%), plus économe en énergie (20 % d’économie par rapport aux puces en silicium massif)6. Mais surtout, ses performances permettent de réagir à des environnements plus contraignants (radiations, haute altitude, températures extrêmes…). Ce sont ces qualités que les chercheurs du Leti recherchent, et pour lesquelles ils développent le SOI.

En 1991, les recherches du Leti permettent d’obtenir des coûts de fabrication concurrentiels grâce à la technologie Smart Cut™7. Il est temps de passer à l’industrialisation de la technologie. En 1992, les deux chercheurs à l’initiative des recherches, André-Jacques Auberton-Hervé et Jean-Michel Lamure, créent Soitec dans ce but.

Les centres de recherches publics sont coutumiers des transferts de technologie vers le privé, via la vente de brevets à des entreprises. Le « modèle grenoblois » ne fait pas exception à cet état d’esprit. Mais les institutions scientifiques grenobloises ont développé précocement une collaboration encore plus poussée entre le public et le privé. En 1999, le CEA créera même sa filiale CEA Investissement (appelée à l’époque CEA Valorisation) « ayant pour objet de prendre des participations directes dans des sociétés valorisant des technologies du CEA, avec pour cible la valorisation des brevets et les investissements dans les start-up »8. En effet,

la création d’entreprises est au cœur des activités du CEA depuis bientôt 50 ans, avec un bilan très positif : plus de 220 start-ups créées depuis 1972, dont 70 % sont encore en activité. Plusieurs de ces start-up sont désormais des entreprises au succès mondial (Soitec, Lynred…)9.

C’est ainsi qu’il faut comprendre les chants entonnés lundi 8 avril 2024, par les opposants aux agrandissements de ST et Soitec qui, après avoir bloqué une heure durant les accès à la Presqu’île scientifique, quittaient les lieux en scandant « CEA, recherches publiques, profits privés, nique le nucléaire et nique l’armée ». C’est un bon résumé10.

Revenons-en à Soitec. En 1999, l’entreprise s’implante à Bernin11 avec l’usine Bernin 1, « le plus grand centre de production de SOI au monde. Sa capacité de production montera par étapes à 800 000 plaques de diamètres 200 mm et inférieurs par an. La société emploie plus de 100 personnes »12. Le marché est prospère :

La filière se révéla très performante en termes de consommation d’énergie, un atout décisif pour les applications mobiles (téléphones portables, montres connectées), car une faible consommation permet d’augmenter l’autonomie. […] La multiplication des dispositifs électroniques à basse consommation, par exemple pour l’Internet des objets, et, plus généralement, la recherche de la performance énergétique ouvrent de vastes perspectives pour cette filière13 ».

Conséquemment, la même année, l’entreprise entre en bourse.

En 2002, l’usine Bernin 2 entre en production, destinée, elle, à la fabrication des plaques de diamètre 300 mm14. Le chiffre d’affaires franchit pour la première fois la barre des 100 millions d’euros.15

Entre 1999 et 2007, la société multiplie son chiffre d’affaires par plus de 50 dans les applications gourmandes en puissance de calcul, et sa capitalisation boursière par 16.16 En 2007, Soitec franchit pour la première fois la barre des 1 000 collaborateurs17.

En 2008, Soitec ouvre un site de production à Singapour pour fabriquer des plaques de SOI. En 2012, ce site accueille l’activité de recyclage de plaques SOI. En 2013, le site est préparé à la production des nouveaux produits, FD-SOI18.

Épargnons au lecteur peu familier des pages « Finance » les pérégrinations de Soitec sur le marché de l’énergie solaire de 2008 à 2016, qui a failli amener l’entreprise à la faillite. Signalons qu’à chaque fois que l’entreprise a eu des déboires financiers, c’est l’État est venu renflouerses caisses. Osons l’hypothèse que cette magnanimité est liée à l’importance de Soitec pour la dissuasion nucléaire – importance que nous détaillerons plus loin.

Arrivons-en au présent. Aujourd’hui, Soitec compte trois sites de production dans le monde, dont deux importants, Bernin et Singapour – le second étant en cours d’agrandissement19 ainsi qu’un petit site de production à Hasselt en Belgique pour un substrat spécifique non-silicium, le nitrure de gallium (GaN)20. L’entreprise a 2000 salariés dont 1600 à Bernin21. Son principal site de production se situe juste à côté du mastodonte européen, sur la commune de Bernin, dans la Zone d’activités économiques (ZAE) du parc des Fontaines : depuis ST, il n’y a qu’a enjamber le ruisseau du Craponoz pour y parvenir. L’entreprise a réalisé un chiffre d’affaire de 1,1 milliard d’euros en 2022-202322 et ambitionne d’atteindre les 2,1 milliards d’ici 2026-202723. Son activité repose aujourd’hui sur trois divisions : communication mobile (64 % du chiffre d’affaires), automobile & industrie (19 %), objets intelligents (17 %)24. Les matériaux SOI

sont utilisés pour la fabrication des puces qui équipent les smartphones, les tablettes, les ordinateurs, les serveurs informatiques ou les centres de données. On les retrouve aussi dans les composants électroniques présents dans les automobiles, les objets connectés (internet des objets), les équipements industriels et médicaux25 ».

On trouve donc des produits Soitec dans « les composants radiofréquences de tous les smartphones de la planète »26. Une sucess story, donc. Mais certains marchés auxquels contribue l’entreprise seraient-ils moins médiatisés que d’autres ? C’est ce que nous allons maintenant étudier.

Une technologie militaire

« La nécessité de résister aux environnements radiatifs a lancé une belle aventure industrielle, dont nous ne voyons probablement que les prémices !»27

Une lecture attentive des rapports financiers de Soitec28 donne quantité d’informations sur l’entreprise et les marchés sur lesquels elle se positionne. Étonnement, les applications militaires n’y sont nulle part mentionnées. Pourtant, dans son rapport de 2006, le Département américain de la défense classe la technologie SOI parmi les « technologies militaires critiques »29. Quant on sait que Soitec est leader sur sont marché et « sa technologie Smart Cut™ [est] utilisée aujourd’hui pour la production de près de 100 % des plaques SOI vendues dans le monde »30, on peut facilement imaginer qu’une partie des productions berninoises sont à destination des marchés militaires.

Il ne s’agit pas de supputations. En 2014 par exemple, Soitec vendait une cargaison de plaques Silicium sur Saphir, technologie militaire par excellence, à l’entreprise russe Mikron31, un fabricant de circuits intégrés pour l’armée russe qui figure aujourd’hui dans la blacklist du département du Trésor Américain32.

Le responsable de la Direction des applications militaires du CEA (CEA-DAM) confirmait en 2018 l’implication de Soitec dans les activités militaires : « Les composants électroniques [de STMicroelectronics et Soitec] servent pour la dissuasion [nucléaire]33 ». Plus récemment, suite aux révélations de l’Observatoire des armements (Obsarm), une ONG qui documente les ventes d’armes de la France, la direction de Soitec rendait public son partenariat avec l’organe de l’armée française chargé de développer de nouvelles armes, la Direction générale de l’armement (DGA). Ce partenariat a pour but de fournir en substrat résistant et performant les puces des « systèmes embarqués critiques » des industries d’armement françaises. Ces substrats qui se retrouvent dans les micropuces dites « Rad-Hard » (Radiation Hardened, résistantes aux radiations de ST Microelectronics34 vont aussi alimenter les boîtiers électroniques de l’entreprise crolloise Ecrin Systems. Elles répondent aux normes militaires QML-V ou MIL-PRF-3853536.

En 2018, Soitec et le missilier français MBDA rachetaient l’entreprise meylanaise Dolphin Design, designeuse de puce pour des application militaires :

Alors que l’industrie française de l’armement cherche à limiter autant que possible le recours à des composantes relevant de la Réglementation américaine sur le trafic d’armes au niveau international [ITAR] afin d’éviter toute restriction à l’exportation, il aurait été dommage de voir l’entreprise iséroise Dolphin Integration, spécialisée, avec ses 130 ingénieurs, dans la conception de circuits intégrés et de composants dits virtuels analogiques et numériques, fermer ses portes. D’autant plus que cette PME, créée en 1985, avait été sélectionnée par l’Agence européenne de défense [AED] dans le cadre du programme SOC – System on Chip, visant à permettre aux industriels européens de l’armement d’accéder à des technologies « ITAR Free » pour « des petits et moyens volumes à des prix compétitifs. » En outre, elle a mené des projets pour le compte de la Direction générale de l’armement [DGA], via le dispositif RAPID37.

De plus, Soitec fabrique en petites quantités des plaques d’arséniure de gallium (GaAs) et de nitrure de gallium (GaN) destinées les appareils électroniques de radiofréquence (wifi) et haute fréquence comme les radars et les détecteurs infrarouges dont raffolent les entreprises d’armement38.

Ces péripéties récentes n’ont rien d’étonnant quant on connaît l’histoire de Soitec. Le SOI, la technologie développée par Soitec, est issue de recherches militaires de résistance des micropuces aux radiations ionisantes notamment pour les missiles balistiques. Elles sont menées à partir de 197439 à Grenoble dans le laboratoire du CEA-Leti conjointement par la Direction des applications militaires du CEA (CEA-DAM) et la Direction Générale de l’Armement (DGA)40. Le SOI a en effet le double avantage d’être plus performante que les puces classiques et respecter les normes militaires de résistance aux conditions extrêmes (puces dites « Rad-Hard » pour radiation hardened). En effet :

Le SOI fut initialement conçu par les équipes du CEA/DAM [Direction des applications militaires] et du CEA/LETI (Laboratoire d’Électronique et de Technologies de l’Information) pour répondre à des besoins très spécifiques des programmes de la dissuasion [nucléaire]. Comparé aux autres technologies des semi-conducteurs d’alors, le SOI permet de réduire très significativement les pertes électriques. Au-delà du concept, la technologie SOI s’est imposée parce qu’en 1991, le CEA/LETI, avec le soutien financier de la DAM a mis au point le procédé IMPROVE, permettant de produire le SOI à des conditions économiques intéressantes. Au-delà de la satisfaction du besoin « Défense », cette technologie a pu être valorisée en 1992 par la création d’une « spin-off » du CEA, la société Soitec41.

Récemment, en décembre 2022, la voisine de Soitec, STMicroelectronics, a signé avec Soitec un partenariat pour la production de puces FD-SOI42. On ne sera donc pas surpris d’apprendre que figure au catalogue de STMicroelectronics toute une gamme de puces « Hard-Rad » en SOI bénéficiant de certification militaire QML-V43. Cependant, seules 10 % des plaques préparées par Soitec vont à sa ST. « STMicroelectronics est important pour nous en tant que partenaire R&D, mais pas en tant que client », dit l’ancien directeur, Paul Boudre44. Le marché du traitement des wafers est très concurrentiel, puisque c’est le leader mondial des semi-conducteurs Intel avec sa technologie FinFet qui concurrence Soitec dans la réduction des courants de fuite et l’augmentation des performances du substrat de silicium45 et lui ravit des entreprises comme Apple, IBM ou Qualcomm.

À la pointe de l’innovation

Un peu plus concrètement, comment tout cela fonctionne-t-il ? Il est essentiel de comprendre que Soitec n’est pas une fonderie au sens propre, c’est à dire une usine qui grave des circuits imprimés sur des wafers. C’est une usine de traitement du substrat permettant d’améliorer les performances et de résister au radiation. Les puces SOI sont plus concurrentielles sur un marché déjà bien saturé.

Soitec achète des tranches de silicium aux fabricants de silicium qui ont fondu, façonné et découpé en tranches le silicium brut. Soitec utilise ses technologies de pointe (principalement la technologie Smart Cut™) pour intercaler une couche de matériau isolant entre chaque couche d’oxyde de silicium et fabriquer des plaques de silicium sur isolant (le SOI). Puis, elle revend ces tranches aux fabricants de circuits intégrés.
Au-delà des gains de performance et d’efficacité énergétique des composants électroniques, la gravure sur SOI permet de bénéficier de coûts de fabrication réduits, du fait d’une architecture simplifiée. (…) Soitec est ainsi le leader de la fabrication et de la fourniture de plaques de SOI. Elle a été le précurseur dans la fabrication de plaques SOI avec sa technologie Smart Cut™ utilisée aujourd’hui pour la production de près de 100 % des plaques SOI vendues dans le monde. Soitec a également conclu des accords de licences avec : Shin-Etsu Handotai en 1997 (société japonaise), SunEdison en 2013 (société américaine, récemment rachetée par GlobalWafers) et Simgui en 2014.46

La technologie principale développée par Soitec est le Smart Cut, une sorte de « scalpel électronique » qui permet de découper une couche nanométrique de silicium ultra pur et de la coller sur une plaque de silicium classique dont la surface de collage est transformée en isolant. Par rapport aux plaques traditionnelles de silicium massif, ce substrat en forme de sandwich a l’avantage de réduire les courants de fuite, et donc la consommation de courant, tout en améliorant la vitesse de traitement.

Le site de Bernin contient aujourd’hui quatre usines dont la dernière « Bernin 4 », un bâtiment de 2 500 m² inauguré le 28 septembre 2023. M. Barnabé annonce fièrement que « d’ici 2028, nous allons y produire 500 000 wafers Smart SiC, par an, en 150 et 200 mm.47 ». De cette nouvelle usine va sortir une nouvelle catégorie de wafers (SmartSiC) conçus en particulier pour améliorer l’autonomie des batteries des voitures électrique, de l’ordre de 15 %48.
Malgré les annonces de baisse de consommation électrique par plaque de SiC par rapport au SOI, cette technologie est beaucoup plus polluante. Pour bien fonctionner les plaquettes doivent être « dopées » à l’ammoniac (nitruration), à l’aluminium, au bore, au phosphore ou au gallium (depuis 200449), ce qui engendrera comme sa voisine ST, des rejets d’effluents contaminés dans l’Isère.

Le CEA en embuscade

Nous l’avions déjà expliqué dans une enquête précédente50 : ce qui se passe dans les labos de Soitec ne relève pas que d’une stratégie d’entreprise. Spin off du Commissariat à l’énergie atomique, Soitec est en partie soumise aux décisions du gouvernement, et ses évolutions se font en cohérence avec la stratégie du CEA. Ainsi, Soitec à la particularité d’être en partenariat avec le CEA depuis 25 ans51, un partenariat renouvelé tous les 5 ans.

La coopération s’effectue au sein d’un laboratoire commun organisé en thématique et qui s’appuie sur une équipe mixte : plus de 15 personnes de Soitec sont actuellement détachées sur le site de Grenoble. Le CEA-Leti met à disposition ses compétences et ses outils pour aider Soitec à progresser dans la connaissance fondamentale de la technologie Smart CutTM mais aussi pour développer des briques technologiques innovantes qui ouvriront de nouvelles opportunités de marchés à Soitec, par exemple dans les domaines des substrats pour les MEMS ou la photonique sur silicium52.

En 2018, Soitec et le CEA-Leti ont même annoncé la constitution d’une plateforme commune de développement, le « Substrate Innovation Center », « afin de créer de nouveaux matériaux pour les plaques de silicium, de piloter une ligne de production et de développer des applications pour les nouvelles plaques de silicium » sur le site Bernin53 et sur celui du Leti54. Cette plateforme permet de tester des nouvelles lignes de production. Quant au « Soitec Lab », cette « filiale à 100% de Soitec lancée en 2020 est une entité qui mène des activités de recherche et développement de Soitec installée sur le site du CEA-Leti, à Grenoble. »55 Le Soitec Lab gère une ligne de production expérimentale et est financée par l’Union européenne et la région Auvergne-Rhône-Alpes56.
On voit que le choix fait par le collectif STopMicro, qui conteste les agrandissements de STMicroelectronics et de Soitec d’aller manifester les 6 et 8 avril sur la Presqu’ile scientifique de Grenoble n’était pas sans fondement : c’est là que ST comme Soitec ont une partie non négligeable de leurs activités de R&D. Et c’est surtout là, dans les bureaux du CEA, que se décident les orientations et les projets techno-scientifiques de la région.

2022-2024 : les choses se corsent

Décembre 2022 a été un mois très chargé pour l’entreprise.

Le 1er décembre, STMicroelectronics et Soitec annonçaient « leur coopération dans la technologie de fabrication de substrats [plaques] en carbure de silicium57 » : concrètement, la production par ST de substrats FD-SOI et SmartSiC.

Le 16, la communauté de communes Le Grésivaudan votait une délibération concernant l’agrandissement de la zone d’activité économique du Parc des Fontaines. On apprendra ultérieurement que cette extension de 11,2 hectares est dédié pour 8 hectares aux extensions potentielles Bernin 5 et Bernin 6 de Soitec58 en deux phases successives d’ici cinq à dix ans59. Ce projet implique : une première enquête publique pour changer le statut des terres agricoles concernées dans le PLU ; un rachat des terres par Isère Aménagment, un organisme de droit privé utilisé par les collectivités territoriales ; une viabilisation des lots par Isère Aménagement ; une revente ou mise à disposition à Soitec ; la construction et l’équipement des usines.

Une semaine avant, le 9, Soitec avait communiqué sur l’agrandissement de son usine de Singapour dans le but « de doubler la production annuelle de son site […] pour atteindre environ deux millions de substrats SOI (Silicium sur Isolant) en 300 mm »60. D’ailleurs, là-bas, pas de soucis, Soitec fait partie de la Singapore Water Association61 (SWA) « une collaboration dynamique entre les acteurs du secteur privé dans le but d’apporter du dynamisme à la croissance de l’industrie de l’eau singapourienne »62. À Bernin, où à notre connaissance Soitec ne fait pas encore partie de l’Association Française de l’Eau, l’entreprise « utilise près de 1,2 millions de mètres cubes d’eau par an ».63

Et puis, coup de tonnerre. Alors que l’entreprise prévoyait il y a peu encore « d’investir 1 milliard d’euros d’avril 2023 à mars 2026, dont près de la moitié sur son site industriel à Bernin, en Isère. »64, tout en anticipant « une croissance significative pour chacun de ses trois marchés finaux, dans lesquels le Groupe renforce son leadership dans les produits SOI et progresse dans l’exécution de sa stratégie d’expansion vers de nouveaux produits, notamment le POI et le SmartSiC™ »65, la mobilisation de STopMicro qui dénonce l’accaparement des ressources par les industriels de l’électronique – principalement ST et Soitec – a semble-t-il obligé le colosse à montrer ses pieds d’argile. D’abord en communiquant en janvier 2024 sur une technologie de réutilisation de l’eau destinée à faire passer le réemploi de l’eau de 19 à 35 %66. Un contre-feu un peu grossier face à la contestation, et un aveu que de grandes quantités d’eau sont impunément gaspillées depuis des années67.

Puis ensuite le 19 mars, deux semaines avant la grande mobilisation de STopMicro « De l’eau, pas des puces », en annonçant discrètement à la Commission nationale du débat public la « suspension » de son projet d’agrandissement. Une suspension à mettre au crédit du collectif : en effet, ce projet à 600 millions d’euros devait avoir lieu d’ici cinq à dix ans, et d’ici là être portée par les collectivités publiques (Isère Aménagement et communauté de communes). Si la conjoncture financière est en ce moment défavorable à Soitec68, il n’y avait aucune urgence à suspendre le projet… si ce n’est pour esquiver les projecteurs médiatiques auxquels ce projet d’agrandissement et la concertation associée l’auraient confrontée. On ne peut donc comprendre la suspension du projet que comme une capitulation face à la mobilisation, un calcul bénéfices/risques pour Soitec et ses financeurs dont voici la formule :

Grabuge STopMicro + mauvaise conjoncture économique = opération trop risquée.

Mais évidemment, ni L’Usine Nouvelle, ni Emmanuel Macron ne viennent crier sous les toits que l’agrandissement est suspendu… car c’est une bataille de perdue pour les réindustrialisateurs de la France.

Nous nous en félicitons et espérons que STMicroelectronics s’inspire de son voisin !

Collectif STopMicro,
12 avril 2024

3François Geleznikoff (directeur du CEA/DAM), « Soixante ans d’innovations scientifiques et technologiques à la Direction des applications militaires du CEA », Hérodote n°170, 2018, https://www.cairn.info/revue-herodote-2018-3-page-37.htm

10Pour plus de détails, lireGroupe Grothendieck, L’Université désintégrée, Le monde à l’envers, 2020.

13François Geleznikoff (directeur du CEA/DAM), « Soixante ans d’innovations scientifiques et technologiques à la Direction des applications militaires du CEA », Hérodote n°170, 2018, https://www.cairn.info/revue-herodote-2018-3-page-37.htm

24Soitec, « Rapport financier semestriel 2023-2024, novembre 2023, https://d2za3aw7vtguly.cloudfront.net/production/images/Soitec_Rapport-semestriel_FR_FY24.06.pdf

27« 1958-2018, 60 ans de sciences à la Direction des Applications Militaires. Avancées récentes et défis de demain » disponible sur https://www-dam.cea.fr/dam/wp-content/uploads/2018/07/60-ans-dam.pdf

29Department of Defense (DoD),« Militarily Critical Technologies List », Section 8 : Electronics Technology, DoD, septembre 2006.

33« Supercalculateurs : l’atome trouve un nouveau souffle », Libération, 7/02/2018, https://www.liberation.fr/france/2018/02/07/supercalculateurs-l-atome-trouve-un-nouveau-souffle_1628227/

39François Geleznikoff (directeur du CEA/DAM), « Soixante ans d’innovations scientifiques et technologiques à la Direction des applications militaires du CEA », Hérodote n°170, 2018, https://www.cairn.info/revue-herodote-2018-3-page-37.htm

40« 1958-2018, 60 ans de sciences à la Direction des Applications Militaires. Avancées récentes et défis de demain » disponible sur https://www-dam.cea.fr/dam/wp-content/uploads/2018/07/60-ans-dam.pdf

41Commission sénatoriale des affaires étrangères et de la défense, « L’avenir des forces nucléaires françaises », rapport d’information n°668, 12/07/2012, https://www.senat.fr/rap/r11-668/r11-668_mono.html

48Idem.

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