STopMicro38
De l'eau, pas des puces !
Objet : refus du greenwashing
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Lettre ouverte à M. Stéphane Couvreur, ingénieur des mines, responsable de la Mission interministérielle sur la sobriété hydrique des installations industrielles.

Objet : refus du greenwashing

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Monsieur,

Nous avons bien reçu votre message nous informant de la mission dont vous a chargé le gouvernement sur la sobriété hydrique des installations industrielles et nous proposant un rendez-vous pour échanger sur le sujet. Vous vous en doutez, la sobriété hydrique des industriels est un sujet qui nous tient à cœur. En effet, depuis l’annonce par Emmanuel Macron de l’agrandissement du site de Crolles de STMicroelectronics, notre collectif mène la contestation sous le mot d’ordre « De l’eau, pas des puces » et conteste l’accaparement des ressources par les industriels de l’électronique. C’est pour cette raison même que nous refusons le rendez-vous que vous nous proposez. Et voici pourquoi :

Quand vous passerez, M. Couvreur, dans notre superbe région grenobloise, nous espérons que vous aurez l’occasion de visiter l’usine STMicroelectronics de Crolles, autorisée à engloutir quotidiennement 21 500 m³ d’eau potable (plus 12 000 m³ d’eau de forage), et à rejeter dans l’Isère 75 kg de phosphore, 750 kg d’azote et 1,5 kg de cuivre1 . Ensuite de quoi, peut-être aurez-vous la chance de faire un crochet par l’usine Arkema de Jarrie. Ses fumerolles et autres polluants éternels dans la nappe phréatique de Grenoble (dite FRDG 372) vous donneront sûrement un peu de travail concernant les « bonnes pratiques », par exemple celle des services de l’État (DREAL et préfecture) qui accordent des autorisations pour toujours plus polluer nos rivières et nappes phréatiques. S’il vous reste un peu de temps, passez donc à Pont-de-Claix voir la superbe usine Vercorex, fabricant de soude, chlore, isocyanate et autres dérivés. Et au retour, faites étape à Veurey-Voroize pour saluer une entreprise, certes moins gourmande en eau, mais qui se distingue par ses produits aux applications militaires à 80 % : Lynred, la pépite du CEA, dont on retrouve les capteurs sur des drones et missiles russes2.

Comme vous le voyez, M. Couvreur, notre agglomération est riche de vraies spécialités : cancers, leucémies et maladies pulmonaires ; pollution, pillage des ressources, fabrication de gadgets inutiles et d’applications nuisibles. C’est d’ailleurs cela que nous contestons avant tout : l’utilité sociale de ces industries, pourtant largement soutenues par l’État. Car il ne peut être question de « sobriété hydrique » si l’on n’interroge pas la finalité de ces industries. D’où notre mot d’ordre, « De l’eau, pas des puces ! ». C’est pour cette raison que nous menons de front un travail d’enquête (par exemple sur l’utilisation concrète des semi-conducteurs fabriqués par ST et Soitec3) et un travail de mobilisation et d’action militante (comme lorsque nous avons gâché la fête des 50 ans de STMicroelectronics et la célébration de la liaison recherche-armée-industrie le 28 septembre dernier4).

Tout cet « écosystème industriel » prospère avec le soutien et la complicité des services de l’État. Quand ce n’est pas à leur initiative même ! Ainsi de l’autorisation dérogatoire de rejets de polluants et d’eutrophisants par ST accordée par la préfecture de Grenoble (que nous sommes allé‑es contester ce matin même en rendant visite à la DREAL5). Ainsi du soutien financier massif de l’État à l’agrandissement de Soitec (plus de 100 millions) et à celui de ST (2,9 milliards). Ainsi de la dynamique impulsée par l’institution publique qu’est le Commissariat à l’Énergie Atomique pour l’industrialisation de ses procédés techniques par des start-ups, dont ST, Soitec et Lynred sont exemplaires. Et pendant que l’État déverse des milliards sur ces entreprises pour les créer, les soutenir, les développer, les défendre et les agrandir, il faudrait que nous perdions notre temps à répondre à une mission interministérielle sur la sobriété hydrique des industriels ?

Mais, M. Couvreur, vous nous jugerez peut-être naïfs et naïves. Vous nous direz peut-être que « l’État » n’est pas monolithique, qu’il est le reflet d’intérêts différents, voire contradictoires. Qu’il est possible, par le dialogue raisonné, de peser sur les décisions, les normes, les choix industriels. Que la démocratie n’est pas un vain mot. Que le Ministère de l’Écologie vaut bien celui de l’Économie ! Et bien, écoutez M. Couvreur, en l’occurrence : c’est vous le naïf. Les résultats de l’enquête publique sur l’agrandissement de STMicroelectronics, à laquelle nous avons participé malgré nos préventions, le montrent. Alors que s’accumulaient, de l’aveu même des commissaires-enquêteurs, une montagne de problèmes, alors que le dossier de ST était, de l’avis général, très visiblement mal monté, cette enquête publique s’est soldée par un avis favorable à l’exploitation6. C’est que cette consultation était mise en place uniquement pour répondre à une obligation légale. Chacun et chacune savait que les dés étaient pipés d’avance, et que deux résultats seulement étaient possibles : un avis favorable qui amènerait à une mise en exploitation de l’usine, ou bien un avis défavorable, qui amènerait à une qualification en « projet d’intérêt stratégique »… et donc à une mise en exploitation de l’usine. Car, quand il est question de « choix technologiques », il n’est pas de démocratie : tout le pouvoir revient aux grands corps d’État, issus de l’ENA, de l’École polytechnique ou des écoles des mines.

Quant à la mission dont vous êtes personnellement chargé, elle consiste à se demander « quelles ruptures technologiques peuvent avoir un impact majeur à long terme sur l’enjeu de l’usage de l’eau par l’industrie » et à établir un recueil « de bonnes pratiques existant dans les territoires, et dont les effets semblent significatifs »7, tout cela dans le but prétendu d’atteindre une « sobriété hydrique ». Autrement dit : pondre des rapports techniques pendant que la nature se meurt. Il est de ce fait logique de la part du ministre d’avoir choisi pour cette mission un ingénieur en chef des Mines comme vous. Notre démarche, au contraire, n’attend pas une supposée « transition écologique » (en fait une transition numérique) pour agir concrètement sur le terrain, avec les associations écologistes, les collectifs militants et de riverains, avec les citoyens qui veulent agir, les zadistes de tous poils, avec les grands-mères réfractaires aussi bien que les jeunes utopistes, celles et ceux qui n’entendent pas se laisser enfumer pendant encore des décennies par votre le savoir techno-industriel maintenant reconverti en peintre de la verdure. En effet, nous avons depuis longtemps arrêté de croire au Père Noël du progrès-technologique-et-scientifique-qui-nous-sauvera-des-problèmes-engendrés-par-ce-progrès. Votre mission, définie dans la lettre que vous nous avez jointe, est l’antithèse des valeurs et actions que nous prônons. C’est donc bien, M. Couvreur, pour la raison même qui motive l’existence de notre collectif que nous refusons le rendez-vous que vous nous proposez.

Permettez-nous, M. Couvreur, de vous ranger, avec Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publique8, dans ces experts greenwasheurs qui vont encore nous repeindre en vert ces industries gargantuesques et consommatrices de ressources naturelles (et de surcroît énormément pollueuses).

Notre collectif n’a pas pour vocation d’être la vitrine bienveillante de tous les greenwasheurs de France, mais d’imposer en pratique la sobriété hydrique aux industriels de l’électronique.

No puçaran !

Collectif STop Micro,
le 15 décembre 2023

1Voir notre tract dédié, « ST écocidaire, préfecture complice » sur https://stopmicro38.noblogs.org/post/2023/12/15/st-ecocidaire-prefecture-complice/

2« Russian papers » sur https://blast-info.fr

4« STMicroelectronics : 50 ans de nuisances, ça suffit ! », https://stopmicro38.noblogs.org/post/2023/09/15/stmicroelectronics-50-ans-de-nuisances-ca-suffit/

7« Lettre de mission, sobriété hydrique des installations classées », Philippe Van de Maele, directeur du cabinet du Ministère de la transition écologique et de la transition des territoire, 20 septembre 2023.

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