Voilà le constat : selon l’institut européen Copernicus, les mois de juin, juillet et août ont été les plus chauds jamais enregistrés1. L’humanité est en train de vivre l’année la plus chaude depuis au moins 120 000 ans2. À ce réchauffement, il faut ajouter la multiplication des « événements climatiques extrêmes » : incendies historiques au Canada, tempête Poly aux Pays-Bas, tempête dans les Balkans, pluies torrentielles au Japon, incendies en Grèce…3
Cet air de « fin du monde » trouve un écho au niveau local : depuis quelques jours, quasiment tous les territoires isérois sont en alerte sécheresse. Les secteurs Sanne-Varèze-Quatre Vallées (en Isère rhodanienne et dans Bièvre Liers Valloire) sont placés en alerte niveau 4/4 pour les eaux souterraines. Les nappes de Chambaran, Terrasses rives gauche de l’Isère, Bourbre et Isle Crémieu sont, elles, en niveau d’alerte renforcée (3/4). Quant aux zones d’alerte générales, Bourbre, Trièves-Matheysine, Isle Crémieu, Paladru Fure, Sanne-Varèze-Quatre Vallées et Chambaran sont en niveau d’alerte renforcée ; Belledonne, Chartreuse-Guiers et Vercors en alerte (niveau 2/3). L’Oisans-Bonne et l’agglomération grenobloise ont de la chance : elles ne sont qu’en vigilance (1/4)4.
Vers la guerre de l’eau
Il fait de plus en plus chaud et de plus en plus sec – pluies torrentielles mises à part ! L’influence majeure des activités humaines sur ce réchauffement et ce dérèglement n’est plus à prouver : les rapports du très officiel GIEC le documentent, et en démontrent les liens avec les activités économiques. À chaque nouveau rapport, le constat se dégrade… mais les gouvernants font la sourde oreille, se contentant d’annonces sur une prétendue « transition énergétique » qui vise juste à changer le carburant du capitalisme : remplacer le pétrole et le charbon par des énergies renouvelables gourmandes en métaux et en quincaillerie numérique. Pour que tout continue (soif de profit, exploitation des humain-es et du vivant, inégalités croissantes…) mais en « renouvelable ».
Heureusement, il y a des signes encourageants ! Ces dernières années on observe un renouveau de la contestation. Des Marches Climat aux Soulèvements de la Terre, une évolution est en cours. 30 000 personnes à Sainte-Soline en avril, 5 000 aux Résistantes dans le Larzac cet été, etc. : une partie non négligeable de la population s’est mise en mouvement pour imposer l’arrêt de l’écocide, la prise en compte du réchauffement climatique, pour sortir du modèle capitaliste qui en est à l’origine et promouvoir des perspectives d’autonomie et de subsistance.
Les lignes de la « guerre de l’eau »5 sont aujourd’hui claires. D’un côté les défenseurs d’un modèle industriel d’exploitation de la nature et du profit à tout prix (mégabassines, industries…). De l’autre une contestation écologiste et sociale qui a bien compris que la dégradation de l’environnement et des conditions de vie humaine est essentiellement le résultat du capitalisme industriel.
Les méga-nuisances de la méga-usine
Chez nous, en Isère, c’est l’agrandissement de l’usine de Crolles de STMicroelectronics qui focalise à juste titre l’attention. Cette usine de semi-conducteurs qui consomme déjà 13 500 m³ d’eau potable par jour est en train de s’agrandir pour devenir d’ici trois ans une « méga-usine »6 qui va tripler sa consommation d’eau pour atteindre 33 500 m³, dont 21 500 m³ d’eau potable.
Agrandissement oblige, cette surconsommation d’eau se doublera aussi d’une surconsommation d’électricité, de matières premières, etc. Et par conséquent, d’une hausse de la pollution de l’Isère, notamment en phosphore et en azote, à des niveaux phénoménaux, dignes de l’industrie des fertilisants agricoles chimiques, mais qui ne semblent pas émouvoir la préfecture puisqu’elle les autorise7. Une mansuétude en accord avec l’attitude générale des pouvoirs publics, qui ont débloqué cette année 2,9 milliards d’euros pour épauler l’investissement de la multinationale franco-italienne (dont le siège est en Suisse et qui paye ses impôts aux Pays-Bas, 4e paradis fiscal mondial)8.
Précisons l’usage des semi-conducteurs de ST : secteurs de l’automobile, de l’aéronautique, du spatial, de l’internet des objets… et même celui de l’armement. Relevons enfin que STMicro Crolles est à la tête du consortium d’industriels EXCEED, financé par l’agence européenne de défense, qui vise à développer une filière européenne de puces destinées à des applications militaires9.
« Sortir du pétrole » : les semi-conducteurs ne sont pas la solution
« C’est réjouissant ! »10 : la réaction du maire écologiste de Grenoble à l’agrandissement de l’usine a de quoi faire sourire. Elle illustre le couronnement des efforts de STMicro pour faire croire aux naïf-ves que l’électronique serait un moyen de lutte efficace contre le réchauffement climatique.
Le raisonnement est simple : le dérèglement climatique étant la conséquence de la Révolution industrielle du XIXème siècle basée sur le charbon et le pétrole, pour le combattre il faudrait faire une autre Révolution industrielle. Cette « Quatrième Révolution industrielle » (selon les termes consacrés11) reposerait sur quelques piliers : les énergies renouvelables, l’automatisation des processus de production, une utilisation accrue du numérique et des capteurs omniprésents pour adapter en temps réel la production. Ce sont les compteurs Linky, l’internet des objets, le modèle de la smart city, la connexion permanente de toutes et tous. En un mot, la « vie augmentée », comme le clame le slogan de STMicroelectronics « life.augmented ».
C’est cette perspective de poursuivre (à l’infini) le développement industriel qui est la base des illusions que ST peut générer chez certain-es écologistes d’obédience technocratique. Une illusion cybernétique pourtant fausse12, et dénoncée de longue date par les précurseurs de l’écologie (Jacques Ellul, Ivan Illich, Günther Anders…). Pour ces philosophes comme pour nous, l’opposition au capitalisme doit se jouer aux fondements de celui-ci (le profit, l’exploitation des humain-es et de la nature, la guerre…) et non au niveau de ses conséquences (comme la consommation de pétrole). Sinon on se contente de remplacer un combustible par un autre, une nuisance par une autre.
En finir avec les nuisances de l’électronique
D’ailleurs, cette fameuse transition énergétique n’est en réalité pas une « transition », mais une addition. Les nouvelles formes d’industrie (comme les semi-conducteurs de ST) ne remplacent pas les anciennes formes d’industrie (la chimie d’Arkema pas exemple). Elles s’y ajoutent. Ainsi, comme le rappelle le journal Le Monde, « La demande mondiale de pétrole se dirige vers un record en 2023. Plus de 102 millions de barils par jour devraient être consommés en moyenne cette année dans le monde »13. Nous n’avons jamais consommé autant de pétrole qu’aujourd’hui. Le numérique et l’électronique s’ajoutent au pétrole, de la même façon que l’usine de Crolles s’ajoute à celles de Taïwan ou de Chine (où STMicroelectronics est en train d’ouvrir une usine14).
Plus : le numérique est un « catalyseur » des process industriels. En fait, il ne « s’ajoute » même pas au pétrole, il accélère la Grande Accélération industrielle, rend possible la surconsommation de pétrole ! C’est pourquoi la consommation globale de semi-conducteurs augmente de 15 % par an dans une course folle15. Le contexte dans lequel nous sommes n’est donc pas du tout celui d’une « transition », mais de la poursuite du même modèle de développement, celui qui nous a amené dans l’impasse actuelle. Quand cette fuite en avant a en plus le toupet de se draper d’atours écologistes, cela nous semble abject.
Ainsi, quand Emmanuel Macron, accompagné en chœur par Eric Piolle ou Alexandra Caron-Cusey défendent l’agrandissement de ST au nom de la « souveraineté européenne »16, quand les élus d’EELV 38 affirment que « ces industries sont indispensables aux transitions vers un monde bas-carbone »17, nous n’y voyons qu’une reformulation de la phrase de George W. Bush « notre mode de vie n’est pas négociable »18
Méga-usines, méga bassines, même combat !
No puçaran !
Collectif STopMicro, 30 septembre 2023
https://stopmicro38.noblogs.org – stopmicro@riseup.net
télécharger le pdf de ce texte
(tract distribué à l’occasion de la « fête de l’écologie » de EELV à Gières le 30 septembre 2023)
Suite de la mobilisation :
– Visite de la partie universitaire de la « Silicon Valley grenobloise » : 5 octobre à 14h, 921 rue des résidences, Saint Martin d’Hères
– Grande marche pour l’eau du 1er au 5 Avril 2024.
1Le Monde, 8/09/2023.
2Sciences et avenir, 27/07/2023
3Le Monde, 8/09/2023.
4Le Dauphiné Libéré, 27/09/2023
5Selon le ministre de la transition écologique, https://vert.eco/articles/en-france-branle-bas-de-combat-pour-eviter-la-guerre-de-leau.
6Communiqué du ministère de l’économie, 5/06/2023
7« Comment STMicro pollue l’eau », Le Postillon n°68, printemps 2023. Arrêté préfectoral du 26/05/2016.
8« Les magouilles fiscales de STMicro », Le Postillon n°69, été 2023.
10Raùl Guillen et Vincent Peyret, « Ces puces qui s’emparent de l’« or bleu » des Alpes », Le Monde diplomatique, juin 2023.
11Après celle de la production de masse (la deuxième) et celle de l’informatique (la troisième).
12Voir Marie Garin et Achille Baucher, « Que la transition écologique soit, et la transition numérique fut », https://polaris.imag.fr/romain.couillet/docs/articles/Achille_Marie_GRETSI2023.pdf
13Le Monde, 28/06/2023
14L’Usine nouvelle, 7/06/2023, https://www.usinenouvelle.com/article/stmicroelectronics-s-associe-au-chinois-sanan-pour-creer-une-usine-de-puces-en-carbure-de-silicium.N2140347
15Le Monde, 10/08/2023
16Lire notre texte de réponse à Alexandra Caron-Cusey, « Ce que nous voulons, c’est l’autonomie », juin 2023,
17« Position de EELV sur la consommation d’eau des industries », 5/06/2023
18Au sommet de Rio en 1992.