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De l'eau, pas des puces !
« L’intelligence artificielle accélère le désastre écologique, renforce les injustices et aggrave la concentration des pouvoirs »
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STopMicro est cosignataire de la tribune « L’intelligence artificielle accélère le désastre écologique, renforce les injustices et aggrave la concentration des pouvoirs » publiée dans Le Monde aujourd’hui.

Ce texte est le manifeste fondateur de « Hiatus », une coalition composée d’une diversité d’organisations de la société civile française qui entendent résister au déploiement massif et généralisé de l’intelligence artificielle.


L’IA contre les droits humains, sociaux et environnementaux

Tout concourt à ériger le déploiement massif de l’intelligence artificielle en priorité politique. Prolongeant les discours qui ont accompagné l’informatisation depuis plus d’un demi-siècle, les promesses abondent pour conférer à l’IA des vertus révolutionnaires et imposer l’idée que, moyennant la prise en compte de certains risques, elle serait nécessairement vecteur de progrès. C’est donc l’ensemble de la société qui est sommée de s’adapter pour se mettre à la page de ce nouveau mot d’ordre industriel et technocratique. Partout dans les services publics, l’IA est ainsi amenée à proliférer au prix d’une dépendance technologique accrue. Partout dans les entreprises, les managers appellent à recourir à l’IA pour « optimiser » le travail. Partout dans les foyers, au nom de la commodité et d’une course insensée à la productivité, nous sommes poussés à l’adopter.

Pourtant, sans préjuger de certaines applications spécifiques et de la possibilité qu’elles puissent effectivement répondre à l’intérêt général, comment ignorer que ces innovations ont été rendues possible par une formidable accumulation de données, de capitaux et de ressources sous l’égide des multinationales de la tech et du complexe militaro-industriel ? Que pour être menées à bien, elles requièrent notamment de multiplier la puissance des puces graphiques et des centres de données, avec une intensification de l’extraction de matières premières, de l’usage des ressources en eau et en énergie ?

Comment ne pas voir qu’en tant que paradigme industriel, l’IA a dores et déjà des conséquences désastreuses ? Qu’en pratique, elle se traduit par l’intensification de l’exploitation des travailleurs et travailleuses qui participent au développement et à la maintenance de ses infrastructures, notamment dans les pays du Sud global où elle prolonge des dynamiques néo-coloniales ? Qu’en aval, elle est le plus souvent imposée sans réelle prise en compte de ses impacts délétères sur les droits humains et l’exacerbation des discriminations telles que celles fondées sur le genre, la classe ou la race ? Que de l’agriculture aux métiers artistiques en passant par bien d’autres secteurs professionnels, elle amplifie le processus de déqualification et de dépossession vis-à-vis de l’outil de travail, tout en renforçant le contrôle managérial ? Que dans l’action publique, elle agit en symbiose avec les politiques d’austérité qui sapent la justice socio-économique ? Que la délégation croissante de fonctions sociales cruciales à des systèmes d’IA, par exemple dans le domaine de la santé ou l’éducation, risque d’avoir des conséquences anthropologiques, sanitaires et sociales majeures sur lesquelles nous n’avons aujourd’hui aucun recul ?

Or, au lieu d’affronter ces problèmes, les politiques publiques menées aujourd’hui en France et en Europe semblent essentiellement conçues pour conforter la fuite en avant de l’intelligence artificielle. C’est notamment le cas de l’AI Act adopté par l’Union européenne et présenté comme une réglementation efficace alors qu’elle cherche en réalité à promouvoir un marché en plein essor. Pour justifier cet aveuglement et faire taire les critiques, c’est l’argument de la compétition géopolitique qui est le plus souvent mobilisé. À longueur de rapports, l’IA apparaît ainsi comme le marchepied d’un nouveau cycle d’expansion capitaliste, et l’on propose d’inonder le secteur d’argent public pour permettre à l’Europe de se maintenir dans la course face aux États-Unis et à la Chine.

Ces politiques sont absurdes, puisque tout laisse à penser que le retard de l’Europe dans ce domaine ne pourra pas être rattrapé, et que cette course est donc perdue d’avance. Surtout, elles sont dangereuses dans la mesure où, loin de constituer la technologie salvatrice souvent mise en avant, l’IA accélère au contraire le désastre écologique, renforce les injustices et aggrave la concentration des pouvoirs. Elle est de plus en plus ouvertement mise au service de projets autoritaires et impérialistes. Non seulement le paradigme actuel nous enferme dans une course technologique insoutenable, mais il nous empêche aussi d’inventer des politiques émancipatrices en phase avec les enjeux écologiques.

La prolifération de l’IA a beau être présentée comme inéluctable, nous ne voulons pas nous résigner. Contre la stratégie du fait accompli, contre les multiples impensés qui imposent et légitiment son déploiement, nous exigeons une maîtrise démocratique de cette technologie et une limitation drastique de ses usages, afin de faire primer les droits humains, sociaux et environnementaux.

Premiers signataires :

Annick Hordille, membre du Nuage était sous nos pieds
Baptiste Hicse, membre de STopMicro
Camille Dupuis-Morizeau, membre du conseil d’administration de Framasoft
David Maenda Kithoko, président de Génération Lumière
Denis Nicolier, co-animateur de Halte au contrôle numérique
Emmanuel Charles, co-président de ritimo
Éléonore Delatouche, fondatrice de Intérêt à agir
Judith Allenbach, présidente du Syndicat de la Magistrature
Judith Krivine, présidente du Syndicat des avocats de France (SAF)
Julie Le Mazier, co-secrétaire nationale de l’Union syndicale Solidaires
Julien Lefèvre, membre de Scientifiques en rébellion
Marc Chénais, directeur de L’Atelier Paysan
Nathalie Tehio, présidente de la LDH (Ligue des droits de l’Homme)
Olivier Petitjean, co-fondateur de L’Observatoire des multinationales
Raquel Radaut, porte-parole de La Quadrature du Net
Sandra Cossart, directrice de Sherpa
Soizic Pénicaud, membre de Féministes contre le cyberharcèlement
Sophie Venetitay, secrétaire générale du SNES-FSU
Stéphen Kerckhove, directeur général d’Agir pour l’environnement
Thomas Thibault, président du Mouton Numérique
Vincent Drezet, porte parole d’Attac France
Yves Mary, cofondateur et délégué général de Lève les yeux

David Maenda Kithoko, président de Génération Lumière ; Julie Le Mazier, co-secrétaire nationale de l’Union syndicale Solidaires ; Julien Lefèvre, membre de Scientifiques en rébellion ; Marc Chénais, directeur de L’Atelier Paysan ; Nathalie Tehio, présidente de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Raquel Radaut, porte-parole de La Quadrature du Net ; Soizic Pénicaud, membre de Féministes contre le cyberharcèlement ; Sophie Venetitay, secrétaire générale du SNES-FSU ; Stéphen Kerckhove, directeur général d’Agir pour l’environnement ; Vincent Drezet, porte parole d’Attac France. Liste complète des organisations premières signataires à retrouver sur : https://www.laquadrature.net/manifeste-hiatus/


English version

AI against human, social and environmental rights”

This text is the founding manifesto of “Hiatus”, a coalition made up of a diversity of French civil society organizations intent on resisting the massive and widespread deployment of artificial intelligence.

The massive deployment of artificial intelligence has become a political priority. Extending the rhetoric that has accompanied computerization for over half a century, promises abound to confer revolutionary virtues on AI and impose the idea that, provided certain risks are taken into account, it would necessarily be a vector of progress. The whole society is called upon to adapt to this new industrial and technocratic buzzword. Everywhere in public administrations, AI is set to proliferate, at the cost of an increased technological dependency. Everywhere in the private sector, managers are calling for AI to “optimize” work. Everywhere in our homes, in the name of convenience and a senseless race for productivity, we are pushed to adopt it.

Yet, without prejudging of certain specific applications and the possibility that they might actually serve the general interest, how can we ignore the fact that these innovations have been made possible by a formidable accumulation of data, capital and resources under the aegis of tech multinationals and the military-industrial complex? That, to be successful, they require among other things de-multiplying the power of computer chips and data centers, with comes down to an intensification in the extraction of raw materials and the use of water and energy resources?

How can we fail to see that, as an industrial paradigm, AI is already having disastrous consequences? That, in practice, it intensifies the exploitation of workers involved in the development and maintenance of its infrastructures, particularly in the countries of the Global South, where it prolongs neo-colonial dynamics? That downstream, it is most often imposed without any real consideration of its deleterious impacts on human rights and the exacerbation of discrimination based on gender, class or race? That, from farming to the arts and many other professional sectors, it amplifies the process of deskilling and dispossession vis-à-vis working tools, while reinforcing managerial control? That in public administrations, it acts in symbiosis with austerity policies that undermine socio-economic justice? That the increasing delegation of crucial social functions to AI systems, for example in healthcare or education, is likely to have major anthropological, health and social consequences on which we have absolutely no hindsight today?

Instead of tackling these issues, public policies in France and Europe today seem essentially designed to support the headlong rush to AI. This is particularly true of the AI Act adopted by the European Union, which is presented as an effective regulation when in fact it first and foremost seeks to promote a booming market. To justify this blindness and silence critics, the argument of geopolitical competition is most often used. Policy report after policy report, AI is portrayed as the stepping stone to a new cycle of capitalist expansion, with repeated calls to flood the sector with public money so as to keep Europe in the race with the United States and China.

These policies are absurd, since it seems unlikely that Europe will ever catch up, and that the AI race is probably already lost. But more importantly, they are dangerous because far from being the world-saving technology put forward by its promoters, AI is, on the contrary, accelerating ecological disaster, reinforcing injustice and worsening power concentration. It is increasingly being used to serve authoritarian and imperialist projects. Not only is the current paradigm locking us into an unsustainable technological race, it is also preventing us from inventing emancipatory policies in phase with the ecological stakes.

The proliferation of AI may seem inevitable. Sill, we don’t want to give up. Against the strategy of the fait accompli, against the blind-sided arguments that impose and legitimize its deployment, we demand democratic control over this technology and a drastic limitation of its uses, so that human, social and environmental rights can take precedence.

First signatories :

Annick Hordille, Member of Le Nuage était sous nos pieds

Baptiste Hicse, Member of STopMicro

Camille Dupuis-Morizeau, Board Member of Framasoft

David Maenda Kithoko, President of Génération Lumière

Denis Nicolier, Co-host of Halte au contrôle numérique (Stop Digital Control)

Emmanuel Charles, Co-president of ritimo

Éléonore Delatouche, Founder of Intérêt à agir

Judith Allenbach, President, Syndicat de la Magistrature

Judith Krivine, President, Syndicat des avocats de France (SAF)

Julie Le Mazier, National co-secretary of Union syndicale Solidaires

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