(surprise : encore une fois c’est pour fabriquer des puces électroniques)
Sur ces terres agricoles situées à une quinzaine de kilomètres de Grenoble, poussent aujourd’hui des noyers et du maïs. Mais sur ces mêmes terres, on fabriquera peut-être bientôt des composants pour les missiles nucléaires et l’internet des objets. En effet, l’entreprise de puces Soitec veut agrandir son site de Bernin, un projet mené depuis 2022 en partenariat avec la Communauté de communes Le Grésivaudan. Bien qu’en 2023, Soitec ait annoncé la suspension de son extension, la Communauté de communes poursuit, elle, sa volonté de bétonner des surfaces agricoles au profit de l’industriel. Et ce, au moment-même où le monde agricole crie une nouvelle fois sa détresse et sa colère.
Alors qu’une concertation publique vient d’avoir lieu et sans même attendre les résultats ou la tenue d’une enquête publique, les élus travaillent à présent à une modification du Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT) pour autoriser ce projet. Cette modification aurait lieu en janvier prochain. Mais ne les laissons pas faire ! De l’eau, pas des puces !
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Le projet de Soitec : bétonner 11 hectares de terres agricoles
Fin 2022, la Communauté de communes Le Grésivaudan lançait un projet d’extension de la zone d’activités économiques (ZAE) des Fontaines à Bernin sur 11 hectares de terres agricoles. Le projet ? Agrandir l’usine de puces électroniques Soitec sur 8 hectares, et des sous-traitants sur le reste.
Voisine du géant STMicrolectronics, Soitec fabrique des semi-conducteurs particuliers à destination des smartphones, des voitures électriques, de l’internet des objets, mais aussi de l’industrie de l’armement (dissuasion nucléaire, radars de Rafale…).
Cet agrandissement n’a pour but de remplacer une usine à l’autre bout du monde, mais de s’y ajouter. Et pour preuve : en même temps que Soitec prévoit de s’étendre à Bernin, elle agrandit également son site de Singapour. C’est que la 5G, les voitures électriques et les armes du futur ont besoin de toujours plus de puces.
En 2023, la Commission nationale du débat public estimait que le projet d’extension de la ZAE et celui de Soitec ne formaient qu’un seul projet global. Or, si l’entreprise a depuis annoncé la suspension de son projet, la Communauté de communes continue le sien : rachat des terres agricoles ou expropriation des parcelles de terres agricoles, changement de leur classification administrative et, au final : bétonnisation.
Contre la modification du SCoT au profit de Soitec
Pour pouvoir construire ces usines, il est néanmoins nécessaire de modifier deux documents d’urbanisme : le Plan local d’urbanisme de la commune d’une part, et le Schéma de cohérence territoriale (SCoT) d’autre part. Ce dernier est à la fois un document et une institution qui planifie le développement de 261 communes de l’Isère à long terme. Le SCoT devrait être renouvellé en 2030. Cependant, dans le cas présent il semble y avoir une urgence : alors que Soitec a, rappelons-le, suspendu son projet, une modification du SCoT pour ces parcelles est prévue dès janvier 2025.
Le point clé de la révision prévue est le classement de 11 hectares de zone agricole en zone UI (zone urbaine à vocation industrielle). Cela même alors que le SCoT se donne pour mission de « préserver et valoriser durablement les ressources naturelles, la trame verte et bleue, les conditions de développement de l’activité agricole et sylvicole ». Justement, la zone d’extension comprend 6 hectares de zones humides, zones sur lesquelles le SCoT insiste : « les documents d’urbanisme locaux doivent prioritairement les rendre inconstructibles, y compris en zone urbaine ». Ce sont d’ailleurs ces zones humides qui inscrivent le projet de Soitec en partie sur la trame verte et bleue, un enjeu national de préservation de la biodiversité.
Enfin « le bilan intermédiaire du SCoT effectué en 2018 aboutit au constat d’un déséquilibre de l’emploi entre les secteurs et selon les pôles et de la nécessité de rééquilibrer le territoire sur ce point » (concertation de la CNDP). Ce déséquilibre vient de l’écrasante majorité des emplois dans les secteurs de l’industrie et du service aux entreprises sur le territoire, ce qui est ironique quand on réalise que les emplois créés par l’extension de la zone industrielle seront dans ces mêmes secteurs.
Dans une époque où les enjeux environnementaux sont plus que préoccupants, veut-on vraiment se priver d’un espace agricole pour construire une usine ? Le SCoT, dont la mission principale est prétendument la juste prise en compte des besoins des habitants et des ressources du territoire, va-t-il laisser s’étendre ce projet menaçant ? Hélas, c’est tout à fait possible, au vu du fonctionnement réel de cette institution.
Le choix du développement économique a tout prix, centré sur la monoculture de micro et nanotechnologies dans la course mondiale à l’innovation a été fait de longue date par les décideurs grenoblois. C’est la « liaison recherche-industrie » ou « modèle grenoblois », qui repose sur des partenariats publics-privés très forts. Dès qu’une innovation potentiellement rentable est développée par une institution publique (CEA, CNRS…), cette dernière créé une start-up pour privatiser les profits (comme ce fut le cas par ST-Efcis et Soietc, issues du CEA de Grenoble). Faisant preuve d’un humour involontaire, les élus aiment parler de l’« écosystème » grenoblois pour désigner la multiplicité d’entreprises et d’institutions travaillant dans la high-tech, avec la complicité bienveillante de l’armée et du complexe militaro-industriel. Le préfet de l’Isère rappelait récemment que « la connexion très fine entre la recherche technologique et l’industrie n’existe pas ailleurs » (Le Dauphiné libéré, 15/10/2024).
Faut-il faire remonter ce « modèle grenoblois » à la création de l’ancêtre de l’Institut polytechnique de Grenoble en 1898, qui « s’impose d’emblée une règle de conduite pour le développement tant des enseignements que des laboratoires : s’adapter aux besoins de l’industrie locale » ? A la Première Guerre mondiale, où Grenoble fabrique obus et gaz moutarde dans les usines Bouchayer-Viallet et à Pont-de-Claix ? A l’implantation du CEA en 1956, « la pièce maîtresse du complexe scientifique grenoblois » ? A l’ouverture du premier pôle européen en micro et nano-technologies Minatec en 2006 ? Au partenariat entre le CEA et la Délégation générale pour l’armement, accordant à cette dernière un regard sur le choix des thèses à Minatec en 2004 ?
Quoi qu’il en soit, à Grenoble, industriels et élus roucoulent. Comme le disait l’ancien député PS et premier adjoint au maire de Crolles François Brottes : « Ici, les élus ont été vaccinés à la high-tech. Cela permet d’avancer plus vite et d’éviter de se poser des questions métaphysiques » (Le Monde, 17 avril 2002).
Il y a vingt ans, Jean Therme, alors directeur de la recherche technologique du CEA et directeur du CEA-Grenoble résumait le projet : « Les métropoles économiques à grands potentiels de développement sont repérées de nuit par les investisseurs, grâce aux images fournies par les satellites, sinon en vue directe, depuis un avion. Plus ces villes sont lumineuses, éclairées, plus ils sont intéressés ! Lorsque le ruban technologique de l’arc alpin, entre ses barycentres constitués par Genève et Grenoble, s’illuminera d’une manière continue, lorsque les pointillés des pôles de compétence comme les biotechnologies de Lausanne, la physique et l’informatique du CERN à Genève, la mécatronique d’Annecy, l’énergie solaire de Chambéry et les nanotechnologies de Grenoble, ne formeront plus qu’une longue colonne vertébrale, nous aurons gagné. » (Le Dauphiné libéré, 25/10/2004.)
Ce modèle de développement basé sur la high-tech, les partenariats public-privé et la participation au complexe militaro-industriel est partagé par toutes les tendances politiques, de l’ancien maire UMP Alain Carigon (dont le blog se demandait, à la suite de notre dernière grande manifestation si « l’extrême-gauche veut tuer la liaison recherche-industrie », à l’ancien président PS du Conseil départemental André Valini qui affirmait que « les récentes manifestations contre l’extension de STMicroelectronics et de Soitec, tout comme les prises de position contre le projet de transport par câble entre Fontaine et Saint-Martin-le-Vinoux, devraient inquiéter ceux qui croient à l’avenir de la région grenobloise. Depuis plus de vingt ans, les acteurs du développement économique ont œuvré ici à l’essor de la filière des nouvelles technologies (…) » (Le Dauphiné libéré, 26 avril 2024) et jusqu’à Eric Piolle, le maire EELV, qui réagissait aux annonces d’agrandissement de STMicroelectronics par ces mots: « C’est réjouissant ! » (Le monde diplomatique, juillet 2023).
Le SCoT au service de la fuite en avant techno-capitaliste
Quant au SCoT, son projet d’aménagement et de développement durable (PADD), qui constitue son projet politique, formule ainsi le premier des grands enjeux identifiés pour la grande région de Grenoble : « conforter l’attractivité de la région grenobloise en jouant de ses spécificités, tout en renforçant les coopérations avec les métropoles régionales ».
Pour cela, le projet prévoit notamment de conforter les grands espaces économiques stratégiques des territoires périphériques, parmi lesquels sont cités « les grands pôles technologiques du Grésivaudan ». Le Grésivaudan est en effet reconnu dans sa fonction stratégique dans le Sillon Alpin : « cette situation lui confère une attractivité importante, en particulier pour l’habitat et l’économie, avec des pôles d’emplois très actifs, tels que Crolles, Bernin ou Montbonnot, qui doivent continuer de se développer, notamment autour des activités de haute technologie, élément essentiel du moteur économique de la région » (PADD).
En d’autres termes, le SCoT n’est pas un organisme au service de la population, ou de la défense des terres agricoles. C’est une institution aux mains des mêmes dirigeants qui planifient depuis des décennies le « modèle grenoblois », la fuite en avant technologique et l’écocide généralisé.
Les dirigeants du SCoT sont des représentants des intercommunalités. Mais ce ne seront même pas eux qui prendront la décision de bétonner les terres de Bernin. En janvier se tiendra une concertation de pure forme, au terme de laquelle tout sera acté par le préfet qui, en signant une déclaration d’utilité publique, autorisera du même geste la modification du SCoT et du plan local d’urbanisme, ainsi que l’acquisition du foncier agricole. Présenté comme institution garante de la juste orientation du développement régional, le SCoT apparaît finalement comme une énième façade de la démocratie, cristalisant l’hypocrisie des politiques territoriales locales, asservies aux caprices d’un développement industriel systématique.
Ne laissons pas faire ! Rejoignez-nous !
Le Grésivaudan a été sacrifié sur l’autel de la fuite en avant technologique depuis 1992 avec la construction de la première « méga-fab » de ST Microelectronics. Au fur et a mesure des extensions et de la venue de dizaines d’autre entreprises high-tech (Soitec,TDK, Applied Materials…) ce sont des centaines d’hectares de terres agricoles qui ont été bétonnées pour assurer la pérennité du modèle grenoblois et sa fameuse attractivité.
Mais les temps ont changé, et une opposition s’est constituée. En 2023, nous étions 1000 à manifester à Crolles, puis l’année suivante 2000 sur la Presqu’ile de Grenoble. Il y a peu encore, le 10 novembre, nous étions devant Soitec un après-midi d’information. Nous serons de plus en plus nombreux et nombreuses à mettre des bâtons dans les roues dans leur partenariats avec les industriels, les bétonneurs et autres gratins technocapitalistes grenoblois. Face au désastreux « modèle grenoblois », il faut imposer un rapport de force !
Nous nous opposons à ces usines de mort, dans le Grésivaudan, en France mais aussi partout ailleurs. Nous dénonçons les malfaiteurs, les nuiseurs industriels et agissons par des actions populaires et joviales pour une société plus vivable.
Des terres, des champs, pas des puces!
https://stopmicro38.noblogs.org – stopmicro@riseup.net