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De l'eau, pas des puces !
► Enquête publique STMicroelectronics : la fabrique de l’ignorance et du consentement
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Dossier de réponse à l’enquête publique portant sur l’agrandissement du site de STMicroelectronics

Document introductif

Le présent document est une introduction au dossier présenté par le Collectif STopMicro. Les pièces de ce dossier(toutes téléchargeable en fin de cet article) sont rédigées au nom du Collectif et au titre de la réponse à l’enquête publique portant sur le projet d’agrandissement du site de STMicroelectronics à Crolles.

Le Collectif StopMicro est constitué de citoyen·nes parmi lesquel·les on trouve des scientifiques en activité dont le domaine de recherche permet une analyse technique pertinente du dossier d’enquête publique, dans la limite des informations communiquées publiquement. Ces dernier·es composent la Commission Recherche du Collectif. Positionnement du Collectif face à l’enquête publique.

Positionnement du Collectif face à l’enquête publique

En premier lieu, il convient de préciser que le Collectif n’était initialement pas favorable à une contribution au dossier d’enquête. Une majorité de ses membres reste d’ailleurs de cet avis. En effet, comme souligné dans une note publiée sur son blog, le Collectif s’aligne à l’argumentation de Frédéric Graber selon lequel l’enquête publique n’est qu’un dispositif « d’accompagnement et de légitimation des projets industriels servant à discréditer les critiques »1. En l’occurrence, au vu des investissements colossaux de l’État dans le projet, au vu des sorties médiatiques qui sont autant de fabriques du consentement (nous y reviendrons), et étant donné les prérogatives autoritaires que s’octroie l’État sous le gouvernement d’Emmanuel Macron, nous estimons que le projet — dont nous démontrerons pourtant ici que le dossier est éminemment incomplet, scientifiquement pauvre et qu’il constitue une ouverture vers des conséquences écologiques et sociétales extrêmement dangereuses — a déjà été décidé et informellement « validé » en amont de l’enquête publique. Les travaux sur site, faisant rappelons le déjà deux morts parmi les ouvriers, ont à ce titre déjà débuté.

Malgré notre défiance, nous avons participé collectivement aux deux réunions publiques organisées à Crolles dans le cadre de l’enquête publique, les 1er et 28 septembre 2023. Soulignons qu’à ces occasions l’attitude des représentants de STMicroelectronics n’a pas été à la hauteur du professionnalisme attendu d’une consultation publique. Le Dauphiné Libéré affirme ainsi que lors de la première réunion ces derniers « ont dû avancer avec une rhétorique d’initiés »2 (manière polie pour évoquer la langue de bois). Lors de notre participation à la seconde réunion, il nous a semblé que les réponses des responsables d’STMicroelectronics étaient là aussi essentiellement ineptes, agrémentées qui plus est d’une attitude ressentie par beaucoup comme méprisante. Précisons également que lors de la première réunion publique, la gendarmerie s’est déplacée pour relever l’ensemble des plaques d’immatriculation des voitures présentes sur le parking de la salle, événement dont nous n’avons toujours pas reçu la justification (ni le caractère légal). C’est pourquoi notre sentiment sur les réunions publiques est entaché d’incompréhension quant au caractère « spectaculaire » de l’exercice (en ce sens qu’il s’agit plus d’un spectacle, entre comique et tragique, de représentation de l’industriel que d’un débat de fond), d’inquiétude quant aux mécanismes antidémocratiques à l’œuvre, ainsi que d’une colère sourde face au cynisme et au mépris affichés par l’industriel et à l’évidence ressentis par l’ensemble du public présent (comme cela a été exprimé à plusieurs reprises par les personnes, légitimement très inquiètes, qui avaient fait le déplacement).

Sur le processus de l’enquête publique lui-même, nous contestons le fait que seules 6 semaines sont laissées aux citoyen·nes pour éplucher des centaines de pages de documentations pour la plupart très techniques et qui exigeraient, étant donnée la gravité des conséquences possibles sur l’avenir immédiat et à moyen terme de l’habitabilité du milieu, un temps d’analyses par des citoyen.nes indépendant.es se saisissant des sujets (i) du numérique (les conséquences néfastes du projet sont-elles des nécessités sociétales ?), (ii) de l’hydrologie (l’effondrement déjà acté et par endroits irréversible des écosystèmes et zones humides dû au dérèglement climatique peut-il supporter l’extraordinaire croissance extractive et émissive de nouveaux polluants consécutives au lancement hypothétique du projet ?), (iii) en stratégie économique (ladite « souveraineté nationale », argument médiatique dont nous démontrerons plus loin le caractère aporétique, est-elle pertinente, ou ne nous trouvons pas ici avec le projet d’agrandissement dans une logique purement financière d’appropriation actionnariale ?) mais plus encore (iv) en systémique planétaire (le numérique étant aujourd’hui formellement démontré être un catalyseur de la catastrophe socio-climatique et de l’anéantissement biologique global, dans quel contexte s’inscrit réellement le projet de STMicroelectronics ?).

En outre, la moitié des documents versés au dossier sont déclarés « confidentiels » par le requérant (STMicroelectronics), ce qui limite très fortement les capacités d’analyse des citoyen·nes et ne permet nullement aux enquêteur·ices de mener seul·es l’énorme travail d’analyse qui exigerait ici aussi bon nombre de soutiens scientifiques sérieux. Ajoutons également que la qualité des documents, que nos expert.es de la Commission Recherche ont analysés dans le détail, est très médiocre en cela qu’ils contiennent de très nombreuses imprécisions ainsi que de multiples contradictions entre les documents, voire des mensonges et dissimulations (volontaires ou non) d’information. Le sérieux minimum — on espérerait ici en réalité un très haut niveau de professionnalisme — que requiert pourtant le montage d’un projet reposant sur des milliards d’euros d’investissements (dont des aides publiques, en dépit de l’absence d’une quelconque consultation démocratique sur un tel investissement) n’est de fait pas là et suffirait à lui seul à invalider le projet tant il relève en l’état d’un profond amateurisme.

Ceci étant dit, en mettant ce manque de professionnalisme de côté, il n’en reste pas moins qu’à l’issue de la collecte des contributions citoyennes, dont la nôtre ici présente, les commissaires enquêteur·ices auront la lourde tache de rédiger un mémoire. Dans cette phase de rédaction, ils et elles seront vraisemblablement amené·es à retourner voir le requérant afin d’obtenir des clarifications ou des compléments. À ce niveau, comme nous avons pu l’observer au cours des auditions publiques ainsi qu’au sein des documents (présentations powerpoint lors des auditions publiques au même titre que les documents factuels versés au dossier et que nous analyserons ici), la direction de STMicroelectronics pratique, nous en ferons état dans les documents joints, des méthodes de fabriques du mensonge et du consentement (bien connues des industries du tabac ou des énergies fossiles3), s’appuyant notamment sur des biais cognitifs (biais de sélection ou biais de disponibilité notamment) et de « moisissures argumentatives » (généralisation abusive, appel à l’ignorance, erreurs de causalité, faux dilemmes, imposture intellectuelle, stratégie de l’épouvantail, renversement de la charge de preuve, etc.). Il nous parait de fait difficile pour les non-expert·es systémiques (personne ne peut être expert en tout) que sont les commissaires de ne pas subir ces stratégies de dissimulation et de manipulation. Les commissaires enquêteur·ices étant au final aussi soumis à des injonctions de délai, il leur faudra bien émettre un avis final qui, en l’absence de données complètes et accessibles à leurs propres domaines d’expertise, sera inévitablement positif (ceci sans même considérer d’éventuelles pressions préfectorale ou ministérielle). Cet avis positif serait ainsi établi en dépit — et il est important de signaler ce point crucial au vu de la hauteur des enjeux sociétaux dont il est ici question — du principe élémentaire de précaution qu’il paraîtrait pourtant indispensable d’invoquer sur ce projet.

Analyse par le Collectif de l’enquête publique

C’est précisément l’effroi qu’ont induit chez les membres de notre Commission Recherche tout à la fois la piètre qualité du dossier de STMicroelectronics (pour un projet si important et lourdement subventionné) mais surtout les évidentes stratégies (bien que souvent très maladroites et naïves) de manipulation et de fabrique du mensonge employées par l’industriel qui nous a conduit·es à rédiger le présent dossier argumenté et à le verser à l’enquête publique. En effet, non seulement la forme, mais encore plus le fond du dossier sont proprement inacceptables. Pour le dire crûment, à la lecture de ces documents, il apparaît clairement que la mise en œuvre de ce projet ferait courir des risques graves à la population « avoisinante » et aux entités vivantes (à commencer par la rivière Isère). A moyen terme ce projet fait courir un risque quant à l’habitabilité effective (et potentiellement irréversible) du milieu, étant donnés les assauts déjà difficilement absorbés par le milieu du fait du dérèglement climatique (lui-même massivement dû à ces mêmes activités industrielles). On notera au passage que la notion de « voisinage » ne se limite pas aux 3 km autour du site définis par les textes faisant loi. À l’évidence, l’eau potable provient de puits situés à plusieurs dizaines de kilomètres et l’eau contaminée ne s’arrête pas à 3 km du site de production : les habitant·es de Crolles et Bernin ne sont pas — loin s’en faut — les seules personnes concernées par les graves conséquences de l’activité de l’industriel, et à plus forte raison de son projet infondé (comme nous le démontrons ici) d’agrandissement.

A travers notre contribution, qui se décline sous la forme de 5 autres documents :

– Nous avons, en premier lieu, tenu à expliciter en quoi la question principale qu’il s’agit ici de poser n’est pas de déterminer l’ensemble des compromis sur lesquels STMicroelectronics devrait s’engager afin de solidifier son dossier, mais bien avant tout de décider si ce projet d’agrandissement est écologiquement, socialement et sociétalement défendable. Bien que cette question ne paraisse pas relever directement du périmètre de l’enquête publique (ce qui, au passage, en tant qu’expert·es systémicien·nes au sein de la Commission Recherche, nous semble correspondre à une aberration de principe), cette considération de base est absolument « essentielle » en cela qu’elle porte sur l’essence même du projet. Elle est à mettre en perspective du plus grand défi de notre temps. A cela, nous apportons une autre vision du monde (vision partagée par la vaste majorité des expert·es systémicien·nes) que celle que sous-tend, sans aucun argument tenable nous le verrons, le projet de l’industriel STMicrolectronics (document 01-Arguments_Systémiques)

– Nous avons tenu à dûment commenter et documenter (02-Analyse-Mémoire-Réponse-MRAE) le mémoire de réponse à l’Autorité Environnementale (MRAE) produit par STMicroelectronics qui, en plus de faire état du manque cruel de sérieux de l’industriel face aux inquiétudes hautement légitimes de la MRAE — en cela qu’elles touchent à des questions d’habitabilité humaine et non-humaine du bassin du Grésivaudan — est un document central car étudié préalablement par des expert·es d’une institution étatique et dont la critique a été rendue accessibles aux citoyen·nes depuis février 2023 (ce qui a laissé le temps à tous et toutes, nous les premier·es, de bien connaître ce dossier). À cette note, nous ajoutons également une liste technique (vraisemblablement loin d’être exhaustive) des incohérences et non conformités légales du dossier, produite à l’aide de nos partenaires de la société coopérative Métamorphose(03-Analyse-Des-Non-Conformités).

– Nous proposons des notes techniques bien plus spécifiques et scientifiquement creusées, issues des travaux de collaborateur·ices professionnel·les des domaines concernés et sympathisant·es du Collectif, portant sur les prélèvements dans la nappe (04-Analyse-Annexe6-EtudeImpact) et sur la pollution de l’Isère en sortie d’usine (05-Synthèse-Pollution+Dérogation-Rejets Aqueux), probablement le point le plus inquiétant de tout ce dossier qui pourrait justifier à lui seul un refus catégorique d’extension, voire, comme nous argumentons, la demande d’une révision à la baisse des seuils accordés à ce jour (et donc la demande effective par le collectif, au-delà de la présente enquête publique, d’une contraction dès à présent des activités de production d’STMicroelectronics).

Notre conclusion est sans ambiguïté : l’extension proposée par l’industriel du site de Crolles doit être formellement refusée par les enquêteur·ices, et nous proposons bien au contraire à l’industriel, au vu de ses propres engagements environnementaux et de l’accélération toujours plus dramatique de l’anéantissement biologique global et du dérèglement climatique précisément dus à l’accélération par le numérique des activités humaines écocides, d’envisager très sérieusement la planification d’une contraction progressive de son activité.

Nos expert·es de la Commission Recherche de STopMicro sont prêt·es à soutenir et à s’associer à l’industriel dans ce choix difficile mais nécessaire de réduction progressive de l’activité productrice. D’abord et avant tout parce que le modèle de société que STMicroelectronics soutient et incarne un danger pour l’humanité et pour le vivant (Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, parle d’une « menace existentielle directe »4 pour l’humanité). Mais, d’un point de vue purement technique et local, parce qu’au regard des enjeux écologiques à court et moyen termes – dont la ressource en eau potable – ce projet représente un danger immédiat d’inhabitabilité du milieu. En effet, les dégâts causés au milieu seront irréversibles et il est intellectuellement inepte d’invoquer – comme le fait STMicroelectronics sans aucun argument scientifique valable, bien au contraire — une quelconque amélioration future (laquelle ne fait bien sûr pas consensus au sein de la communauté scientifique, loin s’en faut) pour justifier ces dégradations induites.

Collectif STopMicro, 06/10/2023

Nota : Contrairement à d’autres groupes et citoyen·nes avec qui nous avons pu échanger lors du montage du présent dossier et qui ont décidé de répondre à l’enquête publique dans le but d’inciter STMicroelectronics et l’État à plusieurs compromissions, incitations empruntes de fatalisme et de soumissions consenties à cette nouvelle forme de ‘banalité du mal’5 néolibérale (« de toute façon l’agrandissement aura lieu, il ne faut pas rêver ») — comme par exemple en demandant d’assurer de manière obligatoire un recyclage plus important des eaux accaparées au vivant —, le Collectif STopMicro se refuse à toute forme de marchandage tant l’activité actuelle de l’industrielle est déjà écocide et le projet d’agrandissement tout à la fois une insulte intellectuelle et une offense profondément criminelle envers le vivant.

Les cinq documents constituant notre dossier sont disponibles ici au format pdf :
00-Dossier-STopMicro-Document-Introductif
01-Arguments_Systémiques
02-Analyse-Mémoire-Réponse-MRAE
03-Analyse-Des-Non-Conformités
04-Analyse-Annexe6-EtudeImpact
05-Synthèse-Pollution+Dérogation-Rejets Aqueux

1Graber, F. (2022). Inutilité publique. Histoire d’une culture politique française. Amsterdam éditions.

2Le Dauphiné Libéré, 2/10/2023.

3voir par exemple le reportage édifiant « La fabrique de l’ignorance » https://boutique.arte.tv/detail/la-fabrique-de-lignorance

5Arendt, H., Guérin, A., & de Launay, M. I. (1991). Eichmann à Jérusalem: rapport sur la banalité du mal (p. 444). Paris: Gallimard.

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