Version PDF de l’article : Face à la canicule fermons le robinet à ST
Photographie prise lors de la manifestation du 1er avril devant l’usine de STMicroelectronics
Les causes de la canicule et de la sécheresse sont politiques
FACE À LA CANICULE : FERMONS LE ROBINET À STMICRO !
C’est reparti comme l’été dernier ! Dimanche 9 juillet, l’Isère a été placée en vigilance orange canicule, alors que les 4 et 5 juillet ont été les deux journées les plus chaudes jamais enregistrées au niveau mondial (1). Le préfet de l’Isère prendra « très probablement » cet été un arrêté restreignant l’utilisation d’eau pour l’agriculture et les usages domestiques.
Mais pendant que nous payons les conséquences du changement climatique, des industriels pillent la réserve d’eau de la région : en particulier les gros buveurs STMicroelectronics et Soitec.
Rappelez-vous : l’an dernier, un incendie touchait plus de 130 hectares à Voreppe, obligeant les pompiers à lutter pendant dix jours et dix nuits. Au même moment, dans le Grésivaudan, la commune de Saint-Maximin, en rupture d’alimentation en eau, était alimentée par camions pendant plusieurs semaines. Évènements exceptionnels ? Pas vraiment : en France, 66 000 hectares partaient en fumée cet été-là, pendant que plus d’un millier de communes mettaient en place des mesures de gestion exceptionnelles pour approvisionner leurs habitants en eau. En outre, plus de 1 200 cours d’eau étaient totalement asséchés et certaines filières agricoles connaissaient des baisses importantes de rendements, jusqu’à 30 % (2) ! Puis, cet hiver, l’Isère était l’un des six départements placés en alerte sécheresse…
Dès le mois d’avril 2023, les trois quarts des nappes phréatiques françaises affichaient des niveaux inférieurs aux normales, dont 20% « très bas » (3). Le gouvernement a annoncé que pour cet été la moitié du pays est concernée par un risque de sécheresse « probable » ou « très probable ». Sans surprise, l’Isère est dans les « très probables » (4) ! Alors à présent, on compte les jours nous séparant d’un arrêté préfectoral limitant les usages domestiques et agricoles de l’eau, comme en 2022 (interdiction d’arroser les jardins potagers en journée, baisse des prélèvements agricoles autorisés…).
Cette situation ne va pas s’arrêter de sitôt : les autorités françaises affirment qu’une sécheresse comme celle de 2022 « pourrait devenir la norme d’ici la fin du XXIe siècle » (5). Rappelons-nous qu’à l’échelle mondiale, les années 2015 à 2022 ont été les huit plus chaudes jamais enregistrées sur Terre, et que les cinq prochaines années seront plus chaudes encore (6) ; la sécheresse et la canicule s’imposent peu à peu comme une nouvelle normalité.
Certains doivent consommer moins, les industriels peuvent consommer trois fois plus
Pendant que l’État s’apprête à demander aux agriculteurs et aux particuliers de limiter leur consommation d’eau, les industriels cotés au CAC40 ne sont pas logés à la même enseigne, et reçoivent l’autorisation de consommer… 3 fois plus ! Une autorisation qui ne se limite pas aux périodes de sécheresse. Une autorisation permanente, un vrai choix politique !
En effet, il y a exactement un an, Emmanuel Macron est venu à Crolles annoncer l’extension du site de production de STMicroelectronics. Cette usine de production de semi-conducteurs consommait déjà 127 litres par seconde, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 (7). Après l’extension voulue par Macron, ST consommera 389 litres par seconde (8), soit une multiplication par presque trois, sur des volumes qui étaient déjà loin d’être anodins ! C’est que l’industrie des semi-conducteurs est très gourmande en eau : un peu (25%) pour la climatisation des salles blanches, et beaucoup (75%) pour le nettoyage des plaquettes de silicium. STMicroelectronics à Crolles et sa voisine de Bernin, Soitec, consomment les deux tiers de l’eau du Grésivaudan (9). Rappelons par ailleurs que STMicroelectronics produit des semi-conducteurs destinés aux secteurs dits « stratégiques » (défense nationale notamment), automobile, aéronautique, spatial… et a pour projet d’étendre le mode de vie connecté et la « life augmented » (10).
Il n’y aura pas d’eau pour tout le monde
Que nous apprennent ls sécheresse de ces dernières années et les températures de cet été ? Que la ressource en eau est limitée, que la pénurie est une réalité. Conséquence : quand certains profitent, c’est que d’autres subissent des restrictions. Il s’agit de choix politiques. À quoi décidons-nous d’allouer de l’eau? À des industriels ou à l’agriculture ? À la fabrication d’éléments de satellites et de « voitures autonomes » ou à la consommation quotidienne ?
Les élus du Grésivaudan et de la Métropole grenobloise ont fait leur choix : ils ont décidé de prioriser ST et les industries de l’électronique, au mépris d’une analyse raisonnable de l’état de nos ressources. C’est qu’il y a une course mondiale aux semi-conducteurs, devenus indispensables pour les secteurs dits « stratégiques »… Le monde entier (Grésivaudan inclus) court après Taïwan, où se concentrent les deux tiers du marché de fonderie de puces (11), pour rattraper le retard dans cette fuite en avant technologique. Alors, puisque tel est le modèle revendiqué par les industriels et les élus, allons regarder quelle est la situation de l’eau là-bas.
À Taïwan, le fabricant TSMC consomme 1 700 litres par secondes (12). En 2021, on a coupé l’accès à l’eau courante d’un million de personnes deux jours par semaine et 74 000 hectares de terres agricoles n’ont pas été irrigués au profit des semi-conducteurs. Cette même année, les usines de composants électroniques étaient approvisionnées en eau par des camions-citernes (8 000 camions par jour pour TSMC) (13). Un exemple qui nous montre qu’à notre époque il est impossible de concilier tous les usages de l’eau. Il faut choisir. Voulons-nous voir l’Isère prendre la même direction que Taïwan ? Voulons-nous voir des camions d’eau potable sillonner la Rocade Sud et l’autoroute de Chambéry pour approvisionner ST ? Voulons-nous bétonner toutes les terres agricoles du « plus beau jardin de France » (14) ? La priorité doit-elle être le développement économique à tout prix alors même que l’impact sur les ressources est dramatique ?
Nous parlons de choses très concrètes et réelles : il s’agit de nos conditions de vie. Le fantasme de la « dématérialisation » a un coût matériel bien réel. Alors que la raréfaction des ressources est de plus en plus évidente, et que nous sommes, de l’aveu même du gouvernement, entrés dans une « guerre de l’eau » (15), notre collectif dénonce l’accaparement des ressources par les industriels de l’électronique. C’est tout un modèle de production et de consommation qui est à revoir (et à renverser) : la croissance capitaliste et le mode de vie connecté. Prenons-nous en aux responsables locaux de la canicule et de la sécheresse, aux promoteurs du « mode de vie connecté ».
Non à l’agrandissement de STMicroelectronics.
No puçaran !
collectif STopMicro,
11 juillet 2023
Version PDF de l’article : Face à la canicule fermons le robinet à ST
Notes
(1) Le Monde, 5 juillet 2023
(2) Ces chiffres sont tirés du « Retour d’expérience sur la gestion de l’eau lors de la sécheresse 2022 », édité par une Mission gouvernementale, mars 2023, https://agriculture.gouv.fr/retour-dexperience-sur-la-gestion-de-leau-lors-de-la-secheresse-2022.
(3) Libération, 28 avril 2023.
(4) Voir par exemple https://www.presse-citron.net/canicule-voici-la-liste-des-regions-qui-vont-mourir-de-chaud-cet-ete/.
(5) « Retour d’expérience sur la gestion de l’eau lors de la sécheresse 2022 », article cité.
(6) Selon l’Organisation mondiale de la météorologie, Le Figaro, 17 mai 2023.
(7) 11 000 m³ par jour en 2021. Source : Déclaration environnementale de STMicroelectronics.
(8) 33 600 m³ par jour (Chiffres ST, cités par l’avis de la MRAE, février 2023). https://www.mrae.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2023apara23_icpe_indstcrolles_38.pdf).
(9) Chiffres donnés par Jean-François Clappaz, vice-président de la communauté de communes du Grésivaudan lors de notre rassemblement du 15 mai 2023.
(10) Slogan de STMicroelectronics. En français : « La vie augmentée ».
(11) L’Usine Nouvelle, 24 mars 2023.
(12) Siècle Digital, 31 mars 2023.
(13) 20 Minutes, 31 mars 2021 et https://gauthierroussilhe.com/articles/eau-et-puces-electroniques-l-avenir-climatique-et-industriel-de-taiwan
(14) Surnom donné par Louis XII au Grésivaudan.
(15) Pour le ministre de la transition écologique, « la guerre de l’eau provoquée par une baisse des réserves constitue une menace pour notre cohésion nationale », https://vert.eco/articles/en-france-branle-bas-de-combat-pour-eviter-la-guerre-de-leau.